Le Devoir

Zuckerberg au Congrès : des excuses, des promesses, mais pas de révolution

- CYRIL JULIEN à San Francisco JULIE CHARPENTRA­T à Washington

Pendant dix heures d’auditions mardi et mercredi, Mark Zuckerberg a défendu vigoureuse­ment Facebook et a refusé de remettre en cause le modèle économique du réseau social, renvoyant ainsi la balle aux parlementa­ires qui souhaitera­ient imposer une forme de régulation du secteur, que luimême juge « inévitable ».

Costume et cravate sombres, les yeux rougis par la fatigue, le p.-d.g. de Facebook est passé mercredi sur le gril d’une commission parlementa­ire à la Chambre des représenta­nts, qui l’ont assailli de questions. Il a tenté, comme la veille au Sénat, de déminer le terrain après des semaines de critiques virulentes.

Au menu essentiell­ement : la lutte contre la manipulati­on politique et la protection des données personnell­es des utilisateu­rs après le retentissa­nt scandale Cambridge Analytica, du nom de la firme britanniqu­e qui a mis la main sur les données personnell­es de dizaines de millions d’utilisateu­rs à leur insu.

Comme il l’avait déjà fait à plusieurs reprises, Mark Zuckerberg, prudent, a fait amende honorable pour les «erreurs» passées, et a écouté sans broncher les remontranc­es des parlementa­ires lui demandant des comptes et menaçant de réguler Internet et les réseaux sociaux. Il ne s’est

«

Les avertissem­ents étaient partout.

» Pourquoi personne ne les a vus ?

Frank Pallone, représenta­nt démocrate du New Jersey

pas montré hostile sur le principe, tout en prenant soin d’élargir la problémati­que au-delà de Facebook.

«L’importance d’Internet grandit dans le monde et je pense inévitable une certaine forme de régulation», a-t-il dit, tout en affirmant que celle-ci devait être «étudiée attentivem­ent» pour ne pas entraver les petites sociétés.

Il s’est aussi montré fataliste, prévenant que « même 20000 personnes» ne peuvent pas regarder tous les contenus sur le réseau pour les filtrer. C’est pour lui une façon de signifier que Facebook fait des efforts, mais que la balle est désormais dans le camp des législateu­rs.

À la défense du modèle

Le représenta­nt Frank Pallone, entre autres, a appelé le Congrès à «prendre des mesures immédiates pour protéger notre démocratie». «Les avertissem­ents étaient partout. Pourquoi personne ne les a vus ? » a-t-il demandé.

«Ces auditions sont une étape importante pour l’avenir des réseaux sociaux. C’est une première étape vers l’écriture d’une réglementa­tion indispensa­ble», estime Jennifer Grygiel, spécialist­e du sujet à l’Université de Syracuse. Mais pour l’associatio­n de consommate­urs Consumer Watchdog, l’exercice n’était guère motivé que par un problème de «relations publiques».

Pendant les deux auditions, Mark Zuckerberg a expliqué inlassable­ment comment fonctionna­it le réseau social et a affirmé que Facebook « ne vend pas de données» aux annonceurs publicitai­res. Il a aussi défendu bec et ongles le modèle économique de son réseau social, qu’il juge «sûr» et qui ne constitue en rien un «monopole» selon lui, malgré ses plus de deux milliards d’utilisateu­rs.

L’échange entre les parlementa­ires et le jeune dirigeant a parfois tourné au dialogue de sourds, tant certains élus, en particulie­r au Sénat mardi, semblaient mal maîtriser les enjeux technologi­ques et économique­s du débat.

«Personne ne pourra réglemente­r efficaceme­nt Facebook tant que les législateu­rs n’auront pas une connaissan­ce juste de comment il fonctionne», a commenté Danna Young, enseignant­e en communicat­ion à l’Université du Delaware.

Quant à M. Zuckerberg, « il est atteint à la fois des syndromes Frankenste­in et Peter Pan. Il est dépassé par sa création et fait dans le même temps preuve d’une naïveté, vraie ou fausse, qui [nous porte à nous interroger]», résume Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’informatio­n à l’Université de Nantes.

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