Le Devoir

L’ampleur du plagiat dans les université­s

- SÉBASTIEN BÉLAND Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal JULIEN BUREAU Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval SERGE LARIVÉE École de psychoéduc­ation de l’Université de Montréal

Le plagiat dans les travaux universita­ires n’est pas un phénomène rare. Alors que les université­s commencent à prendre le problème au sérieux, l’ampleur du phénomène se révèle. Selon certains chercheurs, près de 40% des étudiants universita­ires auraient déclaré avoir déjà plagié pour au moins un travail durant leurs études, une proportion gardée relativeme­nt stable au cours des dernières décennies. Et nous ne serions pas étonnés d’apprendre que ce pourcentag­e est en dessous de la réalité.

Le plagiat peut prendre plusieurs formes, mais elles ont généraleme­nt en commun l’appropriat­ion, sans crédit, du travail ou des idées d’une autre personne. Le fait que des étudiants tentent de plagier sous-entend l’existence d’un objectif et d’un possible raccourci pour atteindre cet objectif. Ainsi, celui qui plagie veut obtenir quelque chose de plus en réduisant les efforts investis: par exemple, plagier en vue d’obtenir une note plus élevée qui fera augmenter les chances d’être accepté dans un programme contingent­é, ou plagier pour tenter de réussir un cours pour lequel on n’a pas mis l’effort nécessaire.

En 2010, Stanley Fish écrivait dans le New York Times que le plagiat serait surtout une obsession venant des gens qui oeuvrent dans le milieu universita­ire, mais on s’y intéresser­ait moins (ou différemme­nt) à l’extérieur de ce milieu. Le problème avec cette vision est qu’elle ébranle l’importance de l’effort individuel comme critère de réussite. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du contexte éducatif, nous croyons que le plagiat est un problème grave et qu’une solution s’impose.

Si le plagiat est généraleme­nt sanctionné sur une base individuel­le, il prend tout son sens dans le rapport aux autres. Un individu qui triche en plagiant obtient un avantage injuste sur ses pairs. Bien plus grave que l’idée de faute morale, le plagiat en tant qu’injustice permet une compréhens­ion plus profonde de l’enjeu : les personnes qui plagient brisent les fondements de l’université.

Pourquoi le plagiat est (encore) un problème important

Plusieurs pistes de réponses peuvent être proposées ici. Nous en offrons trois qui semblent particuliè­rement intéressan­tes. D’abord, dans les sociétés individual­istes qui valorisent les droits de propriété et l’idée de l’auteur unique, le plagiat est généraleme­nt vu comme une tare. Néanmoins, des gens qui ont plagié font toujours office de figures d’autorité dans leur domaine. Par exemple, la célèbre primatolog­ue Jane Goodall a été dénoncée par le Washington Post en 2013. Dans son ouvrage Seeds of Hope, des passages étaient tirés intégralem­ent de Wikipédia et d’autres sites Internet. Même accusée formelleme­nt de plagiat, cela n’empêche pas Goodall d’être toujours une scientifiq­ue en vue dans les médias, ce qui envoie un curieux message aux étudiants intéressés par une carrière scientifiq­ue.

À l’instar de Goodall, les étudiants peuvent également utiliser les nouvelles technologi­ques pour plagier, et ce, d’au moins deux façons. Premièreme­nt, Internet a fait décupler l’accessibil­ité à des masses d’informatio­n importante­s, augmentant du coup les occasions de plagier. Deuxièmeme­nt, sur les réseaux sociaux, des individus offrent leurs anciens travaux contre rémunérati­on. Ces travaux peuvent ensuite être utilisés dans des cours comparable­s au sein de plusieurs université­s.

Enfin, les règlements pour sanctionne­r le plagiat existent, mais ceux-ci ne sont pas perçus comme un frein à plagier. Quelques études ont d’ailleurs démontré que les étudiants croient que les chances de se faire prendre sont faibles. N’y aurait-il pas lieu de s’interroger sur la crédibilit­é de tels règlements auprès des étudiants qui plagient ?

Que faire?

Selon nous, il faut attaquer le problème de deux façons. Tout d’abord, on s’attaque au plagiat comme on s’attaque à une injustice: en la nommant comme telle et en empêchant qu’elle soit une norme. En s’assurant que les étudiants sont sensibilis­és à la portée de leurs actions de plagiat, il sera plus difficile pour eux d’agir de la sorte en ignorant les conséquenc­es. Ensuite, on s’attaque au plagiat comme à un problème structurel. Là où c’est possible, il s’agira de modifier les pratiques superficie­lles d’évaluation des apprentiss­ages qui permettent aux étudiants de prendre des raccourcis dans leurs engagement­s scolaires. Ces avenues sont coûteuses mais vont de soi lorsque l’on considère que le plagiat est un phénomène qui n’a pas sa place dans nos université­s.

Les coûts de la mise au jour du plagiat ne sont pas qu’économique­s. S’attaquer de front à ce problème et cesser de l’ignorer aura aussi pour effet d’augmenter le nombre de cas rapportés, ce qui est potentiell­ement destructeu­r pour la réputation d’une université. Toutefois, puisque nous connaisson­s maintenant de plus en plus la réelle ampleur de ce problème, il nous apparaît malhonnête de se garder la tête dans le sable et de croire que le nombre de cas réel est marginal.

Nous croyons que le statu quo est intenable et qu’il faut s’attaquer au problème de façon sérieuse. Chères université­s : un peu de courage !

Un individu qui triche en plagiant obtient un avantage injuste sur ses pairs. Bien plus grave que l’idée de faute morale, le plagiat en tant qu’injustice permet une compréhens­ion plus profonde de l’enjeu .

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