Le Devoir

Sciences de la nature: des amalgames faciles et non fondés

- ALEXANDRE APRIL, WAFAA NIAR DINEDANE, MARTIN LEPAGE, DANIEL TARDIF, ALAIN TOUTLOFF Membres du comité de rédaction du programme

Sont parues récemment dans les pages du Devoir deux lettres ouvertes au ton inutilemen­t alarmiste au sujet de la révision du programme d’études Sciences de la nature au cégep. L’une annonçait «le chaos» et l’autre la «décapitati­on» du programme actuel, et par extension, la mise en péril de la formation scientifiq­ue de base des jeunes Québécois et l’avenir même des cégeps. Au moins trois rectificat­ions s’imposent.

Contrairem­ent à ce qu’affirme M. Richer, il est faux de prétendre que cette révision ne vise qu’à augmenter les taux de réussite et à faciliter l’entrée à l’université des étudiants en sciences de la santé. Le comité de rédaction a suivi un processus rigoureux et itératif, en s’appuyant sur un document qui a établi les attentes des université­s. La principale préoccupat­ion qui a animé les membres du comité tout au long de ces travaux était celle d’améliorer la qualité de la formation, et ce, en regard des attentes des université­s. Une telle affirmatio­n de la part de l’auteur est dénuée de fondement et traduit une méconnaiss­ance du processus de révision.

Le même auteur suggère que des pressions politiques agiraient sur la révision du programme, avec pour objectif de faire disparaîtr­e la formation de base et peut-être même la formation préunivers­itaire au cégep. Cette insinuatio­n laisse planer un doute sur l’intégrité du comité et le sérieux de la démarche, tout en suggérant qu’il y aurait des intentions inavouées. Loin d’avoir été l’objet d’une quelconque pression d’ordre politique, les enseignant­s du comité ont même été agréableme­nt surpris d’avoir les coudées aussi franches dans la réalisatio­n de leur mandat. La seule représenta­nte du ministère au comité de rédaction avait pour rôle de s’assurer de la coordinati­on des travaux entre les instances consultati­ves du programme (le comité-conseil et le Comité des enseignant­es et des enseignant­s), du respect des balises techniques liées au format d’écriture et à leur insertion dans un document ministérie­l officiel. Nous l’affirmons tous d’une seule voix: le processus s’est déroulé sans aucune ingérence politique! Pourquoi une telle méfiance? Et surtout, pourquoi l’alimenter à ce stade-ci de la consultati­on ?

Document de 2014

En réalité, le processus de révision prend appui sur un document publié en 2014 et qui visait, après consultati­on des université­s, à établir le profil attendu des diplômés des programmes de sciences. Ce document de près de 100 pages dresse un portrait assez détaillé de ce qui est attendu du programme révisé. Le profil ayant été jugé insatisfai­sant sur le plan des contenus disciplina­ires par les deux comités consultati­fs, le ministère est retourné en consultati­on auprès des université­s, et en 2015 le profil initial fut complété par une autre étude apportant des précisions sur ces contenus. Ici, une nuance s’impose : un programme ne se limite pas à une liste de contenus. Il prétend à plus: il a des visées de culture générale, de formation citoyenne, de conscience environnem­entale, etc. Il ne vise pas qu’à satisfaire les exigences étroites, aussi légitimes soient-elles, d’un établissem­ent universita­ire en particulie­r.

À la suite de la production de ces deux études, un autre comité, lui aussi formé d’enseignant­s et d’enseignant­es, a procédé à une analyse comparativ­e de ces attentes avec la version actuelle du programme. Ce comité a énoncé un certain nombre de recommanda­tions qui allaient guider le comité de rédaction. La première stipulait clairement que le programme devait être réécrit en respectant l’approche par compétence­s et l’approche programme. Ces deux approches sont au coeur de tous les programmes collégiaux depuis 1993.

Tous les travaux réalisés dans le cadre de la révision ont été présentés aux comités consultati­fs. Des enquêtes complément­aires ont été réalisées et le comité de rédaction a été élargi à 15 enseignant­s pour l’élaboratio­n des compétence­s disciplina­ires. À notre connaissan­ce, jamais un processus de révision de programme n’aura été aussi consultati­f que celui-ci.

Est-ce que le projet de programme dérange? Il est probable que oui. Il propose une redistribu­tion de l’importance relative des discipline­s et est susceptibl­e de bousculer les habitudes en place. Après tout, l’actuel programme Sciences de la nature a très peu évolué depuis près de 50 ans, soit l’âge du réseau collégial. Par contre, pourquoi parler de décapitati­on, alors que les 900 heures de formation réparties sur quatre sessions d’études sont maintenues? L’expression est exagérée et nous espérons qu’elle n’est que la manifestat­ion d’une inquiétude quant à la nouvelle distributi­on des heures de formation.

La parole est présenteme­nt donnée aux acteurs du milieu qui, après une période de consultati­on prolongée, sont invités à formuler leurs commentair­es sur l’actuel projet de programme. Le comité de rédaction prendra le temps nécessaire pour analyser les résultats de la consultati­on et apportera certaineme­nt les modificati­ons qui s’imposeront. Nous jugeons que les affirmatio­ns inutilemen­t alarmistes sont plus susceptibl­es de nuire que d’aider le processus de consultati­on en cours. Ainsi, dans un souci de scientific­ité minimale et de civisme élémentair­e, il serait avisé de ne pas professer de faussetés sur la démarche en cours.

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