Sciences de la nature: des amalgames faciles et non fondés
Sont parues récemment dans les pages du Devoir deux lettres ouvertes au ton inutilement alarmiste au sujet de la révision du programme d’études Sciences de la nature au cégep. L’une annonçait «le chaos» et l’autre la «décapitation» du programme actuel, et par extension, la mise en péril de la formation scientifique de base des jeunes Québécois et l’avenir même des cégeps. Au moins trois rectifications s’imposent.
Contrairement à ce qu’affirme M. Richer, il est faux de prétendre que cette révision ne vise qu’à augmenter les taux de réussite et à faciliter l’entrée à l’université des étudiants en sciences de la santé. Le comité de rédaction a suivi un processus rigoureux et itératif, en s’appuyant sur un document qui a établi les attentes des universités. La principale préoccupation qui a animé les membres du comité tout au long de ces travaux était celle d’améliorer la qualité de la formation, et ce, en regard des attentes des universités. Une telle affirmation de la part de l’auteur est dénuée de fondement et traduit une méconnaissance du processus de révision.
Le même auteur suggère que des pressions politiques agiraient sur la révision du programme, avec pour objectif de faire disparaître la formation de base et peut-être même la formation préuniversitaire au cégep. Cette insinuation laisse planer un doute sur l’intégrité du comité et le sérieux de la démarche, tout en suggérant qu’il y aurait des intentions inavouées. Loin d’avoir été l’objet d’une quelconque pression d’ordre politique, les enseignants du comité ont même été agréablement surpris d’avoir les coudées aussi franches dans la réalisation de leur mandat. La seule représentante du ministère au comité de rédaction avait pour rôle de s’assurer de la coordination des travaux entre les instances consultatives du programme (le comité-conseil et le Comité des enseignantes et des enseignants), du respect des balises techniques liées au format d’écriture et à leur insertion dans un document ministériel officiel. Nous l’affirmons tous d’une seule voix: le processus s’est déroulé sans aucune ingérence politique! Pourquoi une telle méfiance? Et surtout, pourquoi l’alimenter à ce stade-ci de la consultation ?
Document de 2014
En réalité, le processus de révision prend appui sur un document publié en 2014 et qui visait, après consultation des universités, à établir le profil attendu des diplômés des programmes de sciences. Ce document de près de 100 pages dresse un portrait assez détaillé de ce qui est attendu du programme révisé. Le profil ayant été jugé insatisfaisant sur le plan des contenus disciplinaires par les deux comités consultatifs, le ministère est retourné en consultation auprès des universités, et en 2015 le profil initial fut complété par une autre étude apportant des précisions sur ces contenus. Ici, une nuance s’impose : un programme ne se limite pas à une liste de contenus. Il prétend à plus: il a des visées de culture générale, de formation citoyenne, de conscience environnementale, etc. Il ne vise pas qu’à satisfaire les exigences étroites, aussi légitimes soient-elles, d’un établissement universitaire en particulier.
À la suite de la production de ces deux études, un autre comité, lui aussi formé d’enseignants et d’enseignantes, a procédé à une analyse comparative de ces attentes avec la version actuelle du programme. Ce comité a énoncé un certain nombre de recommandations qui allaient guider le comité de rédaction. La première stipulait clairement que le programme devait être réécrit en respectant l’approche par compétences et l’approche programme. Ces deux approches sont au coeur de tous les programmes collégiaux depuis 1993.
Tous les travaux réalisés dans le cadre de la révision ont été présentés aux comités consultatifs. Des enquêtes complémentaires ont été réalisées et le comité de rédaction a été élargi à 15 enseignants pour l’élaboration des compétences disciplinaires. À notre connaissance, jamais un processus de révision de programme n’aura été aussi consultatif que celui-ci.
Est-ce que le projet de programme dérange? Il est probable que oui. Il propose une redistribution de l’importance relative des disciplines et est susceptible de bousculer les habitudes en place. Après tout, l’actuel programme Sciences de la nature a très peu évolué depuis près de 50 ans, soit l’âge du réseau collégial. Par contre, pourquoi parler de décapitation, alors que les 900 heures de formation réparties sur quatre sessions d’études sont maintenues? L’expression est exagérée et nous espérons qu’elle n’est que la manifestation d’une inquiétude quant à la nouvelle distribution des heures de formation.
La parole est présentement donnée aux acteurs du milieu qui, après une période de consultation prolongée, sont invités à formuler leurs commentaires sur l’actuel projet de programme. Le comité de rédaction prendra le temps nécessaire pour analyser les résultats de la consultation et apportera certainement les modifications qui s’imposeront. Nous jugeons que les affirmations inutilement alarmistes sont plus susceptibles de nuire que d’aider le processus de consultation en cours. Ainsi, dans un souci de scientificité minimale et de civisme élémentaire, il serait avisé de ne pas professer de faussetés sur la démarche en cours.