Décès du dessinateur de bédé français F’murrr
Richard Peyzaret, le créateur du Génie des alpages, était âgé de 72 ans
Un jour, une thèse sera écrite sur l’importance des ovidés dans la philosophie et le rire français au milieu des années 1970. Elle racontera comment ces animaux, a priori pas des plus passionnants, sont devenus des révolutionnaires actifs de la pensée, en contradiction de leurs traits placides et suiveurs. Il y avait les moutons de Pétillon multipliant les artifices pour éviter les griffes de l’aigle Baron noir. Mais les animaux qui resteront le plus dans les mémoires sont probablement les joyeuses et sceptiques brebis de F’murrr, apparues au fil des albums du Génie des alpages, série culte de bandes dessinées. Elles étaient toujours prêtes à débattre philo avec le chien du berger Athanase Percevalve, dans une succession de dialogues et de calembours confinant souvent à l’absurde et à la méta, voire pata, physique.
Qu’auraient-elles dit, aujourd’hui, à l’annonce par son éditeur Dargaud de la disparition de leur créateur, Richard Peyzaret, à 72 ans, alias F’murrr? Elles pourraient reprendre ce qu’elles remarquaient à propos de Robin des Pois, un de leur maître théorique, dans Robin des Pois à Sherwood : «Peut-être tient-il à entretenir une sorte de distance théologique, une absence divine qui conserve ardente notre dévotion… Bref, il est pas là.» Et ce «il est pas là» agacé risque d’en rendre triste plus d’un dans le monde de la bande dessinée, tant l’artiste avait laissé une trace importante et fut une immense source d’inspiration. «Pour moi, il n’y a rien de plus drôle que Le génie des alpages », nous avait dit en 2016 Manu Larcenet. «J’ai toujours été un fan absolu», regrette Jean-Christophe Menu, l’un des fondateurs de la maison d’édition L’Association, par SMS, apprenant son décès, ajoutant: « Fuck.»
F’murrr (dont on doit avouer depuis toujours se reprendre à plusieurs fois sur le nombre exact de «r»; «trois et demi», disait-il) est né à Paris le 31 mars 1946 et avait étudié aux Arts appliqués dans l’atelier de Raymond Poïvet. Il y rencontre plusieurs futurs auteurs de bande dessinée et, notamment, Mandryka, qui l’amène jusqu’à Goscinny. Le célèbre scénariste dirige alors Pilote. Dans cette revue sont publiés les premiers gags du Génie des alpages, en 1973. Tout de suite, c’est drôle, différent, original, avec ce décor de montagne qui change selon les besoins du scénario et des différents sketchs et critiques de la société humaine à mettre en place. F’murrr ne respecte ni le dessin, parfois aléatoire jusqu’à prendre un rythme de croisière plus colorée, ni la construction habituelle des cases, variant les formes et les plaisirs.
La vérité qui déborde
De cette époque effervescente pour le 9e art, il est de toutes les aventures, passant par Fluide glacial, le Canard sauvage, Circus à suivre, Métal hurlant, toutes des revues qui ont changé notre regard. Si Le génie des alpages reste un fil rouge, et sa série la plus connue, parfois il se lance dans d’autres histoires, comme Jehanne d’Arc, personnage bien plus paillarde que l’autre pucelle d’Orléans. Il aimait le Moyen Âge, époque propice à la folie et aux apparitions. Notons aussi Spirella mangeuse d’écureuils, satire hommage et érotique à Spirou. «Je cultive l’absurde et le loufoque par goût personnel. Moins le sens est évident, plus je suis content. Je me méfie de tout ce qui est cadré et présenté comme une vérité monolithique: on ne peut approcher une vérité que par ce qui déborde », expliquait-il, dans une citation rapportée par Dargaud.
Parmi ses cibles, il avait une affection pour l’Europe, n’hésitant pas à jouer sur les clichés du fonctionnaire bruxellois voulant couper les pattes des moutons de longueur non réglementaire ou sur les quiproquos entre les nations. Par exemple, les brebis répétant à longueur de journée à une touriste britannique: «Aoh, je suffolke.» C’est peutêtre un jeu de mots pourri, mais comme les ovidés l’expliquaient à leur maître: «Un calembour, c’est un jeu de langage et la langue c’est kultur! Nous aussi, on a droit de faire l’Europe.»
Avec F’murrr, le lecteur pouvait lutter contre le réel: c’était agréable, joyeux, parfois déconcertant surtout quand, justement, le gag ne tombait pas comme une évidence. Parfois, aussi, le réel était le plus fort. Lancé dans une série moqueuse sur l’invasion soviétique en Afghanistan, où apparaissent sur la couverture aussi un mouton et son berger, il renonça, «comprenant que cette affaire est tragique et qu’elle va durer», rappelle Dargaud.
Rire de tout, rire jusqu’au bout, oui, ce n’est pas toujours facile, quand, après Gotlib ou Fred, tout un genre graphique et une époque de la BD disparaissent peu à peu. On découvre que F’murrr avait dessiné des étiquettes de clairette de Die pour une «cuvée du berger». En hommage, il serait temps d’en descendre quelques verres et de philosopher, ensuite, en haut de la montagne, hey ho, hey ho.
«Je cultive l’absurde et le loufoque par goût personnel. Moins le sens est évident, plus je suis content.»