Des frappes futiles
Quel avenir pour la Syrie? Ni les frappes militaires ni la diplomatie ne semblent produire de résultats pour infléchir le régime de Bachar al-Assad.
Les frappes «chirurgicales» menées unilatéralement par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni auront peu d’effets à long terme sur le conflit en Syrie. Le président américain, Donald Trump, se félicite pour cette «mission accomplie», alors que, dans les faits, les alliés ont fait un pas de côté. Depuis que l’ancien président Barack Obama avait qualifié l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad de «ligne rouge» à ne pas franchir, sous peine de subir le courroux américain, en 2013, Damas aurait utilisé des armes chimiques contre des civils à 34 reprises, selon la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie.
La ligne rouge en a vu de toutes les couleurs. Les attaques aux gaz, un crime contre l’humanité en vertu du droit international, restent largement impunies en Syrie. Bachar alAssad est un monstre, le boucher des hommes, femmes et enfants qu’il écrase sans distinction dans sa reconquête de la Syrie, avec l’appui tactique de la Russie et de l’Iran.
Les frappes précédentes, menées il y a un an par les États-Unis, n’ont pas dissuadé le régime syrien; elles l’ont simplement refroidi momentanément. Comment pourrait-il en être autrement cette fois-ci? Les alliés se félicitent d’avoir détruit en quelques heures les principales installations de production d’armes chimiques en Syrie. On ne revendique aucun mort, aucune catastrophe humanitaire que la destruction d’un arsenal d’armes chimiques aurait pu engendrer. Un peu comme si les missiles étaient tombés sur des installations fantômes.
Le problème reste entier. Selon les informations communiquées par Washington, Londres et Paris, la cinquantaine de victimes de l’attaque de Douma, commise le sept avril dernier, ont été empoisonnées au chlore, une substance non contrôlée, essentielle à la filtration des eaux, qui peut être transformée en arme létale avec une facilité déconcertante. Bachar al-Assad peut très bien importer ce qu’il ne sera plus en mesure de fabriquer à l’échelle locale.
Il ne faut surtout pas perdre de vue l’étonnante capacité de ce régime de rebondir et de déjouer les sanctions. Après avoir prétendu pendant des années qu’il ne possédait aucune arme chimique, Bachar al-Assad avait finalement accepté la destruction de 1300 tonnes d’agents meurtriers et de 24 installations, sous la supervision de la Russie et des États-Unis. L’initiative, menée en 2013, avait été présentée comme un succès de la diplomatie par l’ancien secrétaire d’État John Kerry. Damas a surtout gagné du temps, en sachant bien exploiter le désarroi américain au Moyen-Orient.
En dépit de ses imperfections, la diplomatie est préférable à une intervention militaire en Syrie. Toute la semaine, le secrétaire à la Défense, James Mattis, a fait part de ses préoccupations quant à la perspective de se lancer dans une intervention incontrôlable. À l’ère de Trump, la politique militaire est à l’exact contraire du Docteur Folamour. Les généraux tempèrent les ardeurs d’un président qui veut appuyer sur tous les boutons rouges mais qui, heureusement, fait le plus gros des dégâts dans des gazouillis belliqueux et intempestifs.
De fait, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont tout fait pour éviter de frapper les forces russes et iraniennes, qui demeurent très actives sur le terrain. Il y a longtemps que la Syrie n’est plus le théâtre d’une guerre civile opposant un régime tyrannique à des factions opposées. Il s’agit d’une guerre «confessionnelle et sectaire», pour reprendre l’expression du politologue de l’Université Sherbrooke Sami Aoun. Une guerre régionale dans laquelle sont impliquées ou mises en cause un nombre dérangeant de puissances et de superpuissances: l’Iran, l’Arabie saoudite, la Turquie, Israël, la Russie, les États-Unis, le Kurdistan. Sans parler de la ligne de fracture entre alaouites, sunnites et chiites.
Épuisés par les campagnes militaires au succès relatif en Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont perdu de leur pouvoir d’influence au Moyen-Orient. Sur les ondes de CNN, le commentateur et journaliste Fareed Zakaria faisait remarquer que Donald Trump imitait Barack Obama sur la ligne de conduite à l’égard de la Syrie. En l’absence d’un allié modéré avec suffisamment de poids et d’organisation sur le terrain, il en est réduit à rappeler de temps à autre, par la force d’un tir de missiles, qu’il y a une ligne plus ou moins rouge à ne pas franchir quant à l’utilisation d’armes chimiques.
Il ne reste plus que l’espoir d’une solution diplomatique. Elle viendra, un jour, si la justice internationale est assez forte pour juger ce criminel de guerre qu’est Bachar al-Assad.