Pour un catholicisme joyeux et raisonnable
Naguère, au Québec et ailleurs en Occident, un athée passait pour un énergumène. Les choses ont changé. Aujourd’hui, croire en Dieu ne va plus de soi. Plus encore, afficher une telle croyance vous attire souvent la condescendance. « Être catholique, constate le philosophe français Denis Moreau, apparaît comme une bizarrerie datée; beaucoup de nos contemporains dont il n’y a pas lieu de suspecter la bonne foi ou l’intelligence ne comprennent plus comment et pourquoi on peut (encore) adhérer à une telle vision du monde […].» La charge de la justification, continue Moreau, a changé de camp.
Présenté comme «l’un des philosophes chrétiens les plus profonds du temps présent» par Luc Ferry, Denis Moreau a choisi de relever le défi consistant à rendre raison de sa foi. Son Comment peut-on être catholique ? (Seuil, 2018, 370 pages) s’avère un brillant essai d’apologétique. Dans une fête de l’intelligence, de la joie et de l’espérance, le philosophe parvient à «promouvoir une conception du catholicisme comme doctrine sans doute pas intégralement rationnelle (quelle idéologie ou vision du monde peut se prévaloir d’une telle qualité?), mais de part en part raisonnable».
Philosophie de la résurrection
Quand on leur dit «catholique», bien des gens entendent «illuminé». D’entrée de jeu, Moreau veut confondre ce préjugé. Il n’a pas eu, précise-t-il, d’appel directement venu de Dieu et les miracles ne font pas partie de son quotidien. C’est sa raison, explique-t-il, et sa rencontre, «par le biais d’un certain nombre de médiations » (éducation, culture, Église), de Jésus qui sont à l’origine de sa foi.
On s’étonne souvent, rapporte-t-il, qu’un philosophe savant comme lui, spécialiste de Descartes, soit catholique. Moreau ne cache pas que ses études ont parfois alimenté ses doutes, mais il note que, finalement, la philosophie l’a conforté dans sa foi. La rencontre de grands penseurs catholiques — Jean-Luc Marion, René Rémond, Jean Delumeau — lui a fait comprendre qu’il n’y avait pas de contradiction à être l’un et l’autre à la fois, et son travail sur Descartes l’a convaincu de la possibilité d’une théologie rationnelle. Le christianisme, de plus, a partie liée avec la tradition philosophique grecque et, aujourd’hui, «l’Église catholique est l’institution qui accorde le plus de place à la philosophie», notamment depuis Jean-Paul II et Benoît XVI.
Devant un tel discours, une protestation se fait rapidement entendre: oui, mais est-il vraiment raisonnable, pour un philosophe sérieux, de croire à la résurrection? Moreau, en répondant à cette objection, livre la clé de son choix existentiel. Bien sûr, écrit-il, en cette matière, la vérité, même triste, vaut mieux qu’une illusion consolante. Or, justement, «sur la mort, et plus encore sur ce qui advient après elle, on ne peut établir une vérité objective, scientifique». Par conséquent, dans cette affaire, ne s’opposent pas, comme certains l’affirment, la vérité des athées et la croyance des chrétiens. «Il s’agit, établit Moreau, d’un face-àface entre deux croyances. Et puisqu’on ne peut faire appel à la vérité objective pour évaluer les thèses en présence, ce sont avant tout les critères pragmatiques, existentiels qu’il faut ici mobiliser. »
Parce qu’elle peut nous libérer de la peur de la mort, atténuer notre douleur devant la perte de ceux qu’on aime et nous inciter à une conduite morale, la croyance en la résurrection améliore déjà notre vie. Trop beau pour être vrai, rétorquent les esprits chagrins, en ajoutant que ce qui correspond trop à nos désirs a quelque chose de louche. «En ce qui me concerne, réplique Moreau, quand je suis triste, j’ai besoin d’être consolé, et j’apprécie qu’on le fasse. Alors, oui : la bonne nouvelle d’une victoire remportée sur la mort est consolante, et même joyeuse. Mais en quoi est-ce un problème?» Un assoiffé à qui l’on offre de l’eau doit-il, au nom d’une lucidité qui serait nécessairement souffrante, la refuser? demande le philosophe.
Le bonheur à gauche
Moreau n’a rien d’un «catho-grognon» et, même s’il se reconnaît dans les tourments de Pascal et de Kierkegaard, il plaide pour une foi sereine et joyeuse. Marathonien amateur, il trouve dans l’extase du coureur de fond la «jouissance anticipée de ce que sera [son] corps glorieux ». Passionné de musique metal et punk, il dit imaginer le paradis comme une sorte de communion rock.
Son christianisme, précise-til, est somatophile, c’est-à-dire qu’il considère que le corps «est quelque chose d’absolument essentiel, et de fondamentalement bon», ainsi que le confirment les concepts d’incarnation et de résurrection des corps, et hédoniste, puisque le but suprême de la vie chrétienne est le bonheur, qui ne saurait exclure le plaisir.
Partisan d’un catholicisme de gauche et républicain qui combat l’idolâtrie de l’argent, qui prône le partage des richesses par l’impôt et le souci des pauvres, et qui refuse des politiques comme la gestation pour autrui et l’euthanasie — du capitalisme appliqué aux corps dont les plus faibles font les frais —, Moreau, dans une prose allègre, fluide et limpide, signe, avec ce remarquable essai, une roborative et engageante apologie du catholicisme, qui n’a pas dit son dernier mot.
Dans une fête de l’intelligence, de la joie et de l’espérance, le philosophe Denis Moreau illustre avec brio qu’on peut avoir la foi sans être bête
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Parce qu’elle peut nous libérer de la peur de la mort, atténuer notre douleur devant la perte de ceux qu’on aime et nous inciter à une conduite morale, la
» croyance en la résurrection améliore déjà notre vie