Le Devoir

On saute des étapes !

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Seulement 18 mois séparent les Canadiens des élections fédérales de 2019. Les partis commencent déjà à fourbir leurs armes alors que les électeurs, eux, n’ont toujours pas l’assurance que le scrutin se déroulera en vertu d’une loi revue et améliorée. Les libéraux l’avaient promis, mais les réformes démocratiq­ues ne semblent plus être une priorité.

Le chef libéral, Justin Trudeau, était gonflé à bloc lors du congrès de son parti en fin de semaine à Halifax. Les yeux rivés sur le scrutin de 2019, il s’est lancé dans une attaque en règle contre son adversaire conservate­ur, Andrew Scheer. C’est de bonne guerre de la part d’un chef de parti, mais le premier ministre a d’autres obligation­s, dont celle de protéger l’intégrité du système électoral et des règles démocratiq­ues. Il s’y était d’ailleurs engagé en 2015. Lui qui a enterré sa promesse de réforme du mode de scrutin ne semble pas plus pressé de respecter les autres.

Comme celle de corriger rapidement la prétendue «Loi sur l’intégrité des élections» adoptée en 2014 sous les conservate­urs. La loi, à forte saveur partisane, avait soulevé un tollé parmi les experts, les anciens directeurs généraux des élections et les autres partis fédéraux. Un an après leur élection, en novembre 2016, les libéraux ont bel et bien présenté un projet de loi pour la corriger, affirmant du coup avoir respecté leur promesse. Le projet C-33 prévoit, par exemple, autoriser à nouveau le recours à la carte d’informatio­n de l’électeur pour établir son identité, permettre au DGE de promouvoir la participat­ion et rétablir le droit de vote de tous les Canadiens vivant à l’étranger.

Mais voilà, C-33 languit toujours au feuilleton. Depuis 18 mois, on ne lui a pas accordé une seule minute de débats. On attend encore le début de la deuxième lecture. Cette paralysie a pour résultat que toutes les élections complément­aires tenues depuis 2015 l’ont été en vertu de la loi conservatr­ice.

Le gouverneme­nt répète que C-33 demeure une priorité et qu’il sera adopté. Mais quand? En février dernier, le DGE par intérim, Stéphane Perrault, a averti les parlementa­ires que le temps commencera­it bientôt à manquer pour mettre en oeuvre une nouvelle loi avant les élections. Deux mois plus tard, toujours rien.

Les libéraux négligent leurs devoirs en matière de réforme démocratiq­ue

La procrastin­ation du gouverneme­nt l’oblige entre-temps à défendre la loi conservatr­ice devant les tribunaux. C’est ce qu’il a fait en mars lors de l’audience de la Cour suprême dans une cause sur le droit de vote des expatriés. Cause que C-33 rendait pourtant inutile, affirmait Ottawa en décembre 2016. À la fin mars, le fédéral a aussi présenté plus de 2000 pages de documents pour appuyer sa position dans une cause qui l’oppose au Conseil des Canadiens, la Fédération canadienne des étudiants et deux électeurs. Ces derniers contestent en Cour supérieure de l’Ontario la constituti­onnalité de certains volets de la loi conservatr­ice.

Et malgré leur retard à faire adopter C-33, des ministres parlent de présenter d’autres projets de loi pour combler d’autres lacunes de nos règles électorale­s. On voudrait limiter les dépenses partisanes dans la période précédant la campagne officielle, limiter les dépenses des tiers, créer un commissair­e aux débats télévisés des chefs et peut-être encadrer les médias sociaux.

Un tel programme ne doit pas être adopté dans la précipitat­ion et surtout pas à coup de bâillon. La tradition veut que les règles électorale­s fassent largement consensus entre les partis et le gouverneme­nt ne pourra invoquer l’urgence pour en déroger, lui qui est à l’origine de cet embouteill­age alors qu’il contrôle l’ordre du jour parlementa­ire.

Comme si cela ne suffisait pas, le gouverneme­nt n’a toujours pas nommé un DGE. À 18 mois des élections! Et ce n’est pas parce qu’il a été pris au dépourvu. Le DGE sortant Marc Mayrand a annoncé en juin 2016 qu’il allait partir en décembre de la même année. L’examen des candidatur­es soumises devait débuter… en octobre 2017. Cela fait six mois et toujours rien. Selon M. Mayrand, il faut environ deux ans pour préparer un scrutin. M. Perrault y travaille, sans être fixé sur son sort ni sur la loi à appliquer.

La nonchalanc­e, sinon l’indifféren­ce de ce gouverneme­nt face à la saine gestion du processus électoral a de quoi inquiéter, car il en va de l’exercice de notre droit démocratiq­ue. Pareille lenteur nous porte à croire que, finalement, la loi conservatr­ice, comme le mode de scrutin actuel, fait bien l’affaire des libéraux.

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MANON CORNELLIER

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