La Francophonie n’est pas Michaëlle Jean
Les critiques à l’endroit de Michaëlle Jean sont justifiées, mais elles ne doivent pas conduire le Québec à tourner le dos à la Francophonie.
Depuis le début de son mandat de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en 2014, Michaëlle Jean a surtout attiré l’attention pour ses frasques. Les importantes dépenses engagées pour la rénovation de son appartement de fonction (un demimillion de dollars), l’organisation, sans l’accord des États membres, d’une croisière à bord de l’Hermione pour des jeunes, une activité financée à même le fonds de réserve de l’OIF, et, plus récemment, le fait que son conjoint, sans fonction officielle, se soit vu attribuer un chauffeur privé pour ses déplacements, lui ont valu une pluie de critiques dans les médias québécois.
Ces critiques, nourries par les révélations du bureau d’enquête de Québecor Média, traduisent des interrogations légitimes quant aux pratiques douteuses de gestion de Michaëlle Jean. Elles ont cependant pour effet collatéral de ternir et de discréditer l’image de l’OIF au Québec. À un point tel que Louise Beaudoin établissait dans les pages du Devoir il y a dix jours une corrélation entre les dépenses injustifiées de la secrétaire générale de l’OIF et le déclin de l’organisation sur la scène internationale.
Or, l’action de Michaëlle Jean ne se réduit pas à ses dépenses. Depuis son arrivée à la tête de la Francophonie, la secrétaire générale a mis au coeur de l’action de l’OIF les questions de l’égalité femmes-hommes, de l’éducation et de l’entrepreneuriat chez les jeunes ainsi que des droits des réfugiés et des migrants. Non seulement la Secrétaire générale se fait la porte-voix de ces enjeux à l’ONU, à l’UNESCO et à l’OCDE, mais — devant une tendance à l’unilinguisme anglophone qui s’accentue dans ces enceintes — elle se fait un devoir de le faire en français et d’organiser des concertations parallèles francophones de haut niveau sur ces thématiques lors des grandes rencontres.
Surtout, la Francophonie ne se réduit pas à Michaëlle Jean. L’OIF compte 54 pays membres et 26 observateurs, qui mènent des actions de politique et de coopérations internationales sur cinq continents axées sur la promotion de langue française, la gouvernance démocratique, l’éducation et le développement durable. Elle est au coeur d’un réseau d’alliés — TV5 Monde, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), dont la 44e Session présidée par Jacques Chagnon se tiendra à Québec en juillet 2018, l’Association internationale des maires francophones (AIMF) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) — qui agissent en synergie avec elle pour mener à bien sa mission. Des actions et des alliés dont on ne parle peu, ou pas du tout.
Seul bras diplomatique du Québec
Là où le bât blesse, c’est que le débat sur les mérites et les frasques de l’actuelle secrétaire générale font perdre de vue aux citoyens québécois ce qu’est l’OIF pour eux, c’est-à-dire le seul bras diplomatique dont ils disposent réellement. Dans une entrevue menée en février 2017, Christine St-Pierre, ministre des Relations internationales et de la Francophonie, expliquait toute l’importance de l’OIF arguant que « c’est la seule organisation dans le monde où le Québec a son siège de plein droit », et où sa parole «a le même poids que celle des autres pays». Rappelons, à titre de comparaison, que le Québec ne dispose que d’un strapontin à l’UNESCO.
Dans ce contexte, réduire l’OIF à la personne de la secrétaire générale est dangereux, puisque cela nous conduit à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Prendre conscience de ce danger s’avère d’autant plus crucial que nous sommes à quelques mois seulement du prochain scrutin général québécois, et que les partis politiques ont fait de la critique de Michaëlle Jean et de ses dépenses un sujet susceptible de leur permettre de faire des gains électoraux. Leur appel à plus de transparence de la part de la secrétaire générale est évidemment louable, et libre à eux, suivant le jeu politique, de réclamer ou non sa tête (la Coalition avenir Québec a déjà déclaré qu’elle ne soutiendrait pas sa réélection si elle formait le prochain gouvernement), mais il ne faudrait pas qu’ils oublient de réaffirmer leur soutien à l’OIF en tant qu’institution essentielle au rayonnement diplomatique du Québec.