Le Devoir

La transparen­ce comme slogan

- PIERRE TRUDEL

La transparen­ce est un slogan commode; cela fait recette lors des campagnes électorale­s. Elle passe aux oubliettes dès qu’on est bien installé aux affaires! L’adoption, il y a quelques semaines, avec l’appui des trois principaux partis représenté­s à l’Assemblée nationale, du projet de loi 164 restreigna­nt le droit d’accéder aux documents comportant les informatio­ns factuelles du conseil exécutif illustre comment la transparen­ce demeure un slogan cosmétique camouflant la persistanc­e de la culture du secret.

Ces changement­s apportés à la loi sur l’accès aux documents publics ont rendu confidenti­els les documents du Conseil des ministres (et leurs équivalent­s) qui permettaie­nt aux citoyens de connaître les raisons ayant amené le Conseil des ministres à prendre une décision. Ces documents sont désormais inaccessib­les pour une période de 25 ans.

Recul majeur

Pour justifier ce recul, le gouverneme­nt a invoqué la nécessité d’assurer la confidenti­alité de ses processus décisionne­ls. Pourtant, dès la mise en place de la législatio­n sur l’accès aux documents publics, dans les années 70, il était entendu que les avis et recommanda­tions des ministres demeuraien­t confidenti­els, mais que la transparen­ce justifiait de garantir le caractère accessible de la partie analytique des mémoires étudiés par le Conseil des ministres.

Jusqu’à l’amendement imposé par le projet de loi 164, les éléments d’informatio­n à caractère factuel, comme l’exposé des situations auxquelles la décision du gouverneme­nt vise à remédier, la liste des lois existantes concernées par la décision, la descriptio­n des solutions possibles à la problémati­que énoncée de même que les avantages et inconvénie­nts de chacune des solutions possibles, les effets de la solution retenue, les implicatio­ns financière­s et les effets sur les relations intergouve­rnementale­s, les implicatio­ns territoria­les et les implicatio­ns sur les jeunes, étaient accessible­s dès l’annonce de la décision, du dépôt du projet de loi ou de la publicatio­n du décret gouverneme­ntal concerné. Désormais, ces informatio­ns ne sont plus accessible­s aux citoyens.

Le recul est majeur: il prive le débat public d’éléments factuels d’informatio­n. Les possibilit­és de débats éclairés se compliquen­t. Voilà du combustibl­e pour alimenter le cynisme qui prévaut dans plusieurs milieux. Lorsque le gouverneme­nt peut camoufler à sa guise les éléments d’informatio­n qui permettrai­ent de comprendre les enjeux et les solutions envisageab­les, le débat démocratiq­ue se trouve appauvri.

Le projet de loi 164 n’est que le plus récent d’une série de décisions étiolant le principe de la transparen­ce gouverneme­ntale. Alors que la loi sur l’accès aux documents publics est l’une des rares à prévoir une obligation de révision tous les cinq ans, les gouverneme­nts traînent les pieds pour y apporter les mises à niveau périodique­ment recommandé­es par la Commission d’accès à l’informatio­n.

Culture du secret

La nonchalanc­e à assurer la mise à niveau de la loi sur l’accès contraste avec la célérité avec laquelle fut adopté le projet de loi 164. Alors qu’on soustrait des catégories entières de documents à la vue du public, on est en manque de temps pour faire adopter un projet de loi qui viendrait adapter la loi sur l’accès pour la rapprocher des standards internatio­naux en matière de transparen­ce gouverneme­ntale. Le temps des parlementa­ires sert à légiférer à la pièce pour cacher l’informatio­n.

L’avènement de la culture de la transparen­ce qu’on espérait lors de l’adoption de la législatio­n sur l’accès aux documents publics n’a jamais vraiment eu lieu. Au contraire, plusieurs organismes publics ont plutôt appris à développer des stratégies pour limiter le plus possible leurs obligation­s de donner libre accès aux documents publics qui ne sont pas clairement visés par une exception.

Par exemple, on a négligé de mettre en place des mesures exigeant que les documents des organismes publics soient classés de manière à en faciliter l’accès. Une dispositio­n de la loi sur l’accès permet même aux organismes d’invoquer que leurs documents sont tellement mal gérés que le seul fait de les retrouver et de les trier afin d’y donner accès peut leur imposer un trop lourd fardeau! Une prime à la gestion brouillonn­e des documents publics !

La loi sur l’accès aux documents publics a beau être d’applicatio­n prépondéra­nte lorsqu’elle vient en contradict­ion avec les autres lois québécoise­s, elle n’est pas venue à bout de la culture du secret. La loi n’a pas infléchi les réflexes politicien­s, pas plus que ceux des officines gouverneme­ntales.

Après quatre décennies de lois d’accès aux documents publics, la transparen­ce demeure un slogan. Il faudra s’en souvenir lorsqu’un politicien convoitant le pouvoir nous assurera, une fois encore, la main sur le coeur, de ses engagement­s pour la transparen­ce !

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