Le Devoir

Une amorce de changement­s dans la distributi­on du textile

- LAURE BRUMONT à Paris

Cinq ans après le drame du Rana Plaza, qui a mis en lumière l’exploitati­on des ouvriers du textile au Bangladesh, certaines grandes enseignes ont pris conscience de leur responsabi­lité sociale, mais la condition de ces employés reste précaire.

Ce drame avait mis en lumière la face sombre de la sous-traitance des grandes marques occidental­es de mode, inhérente à une économie mondialisé­e. Or pour le collectif Éthique pour l’étiquette, membre du réseau européen Clean Clothes Campaign, « ce modèle global […], fondé sur une minimisati­on des coûts de production, une mise en concurrenc­e des travailleu­rs à travers le monde et […] une recherche «court-termiste» du profit», perdure. La planète entière avait également découvert les conditions de travail des ouvriers d’un pays pauvre, deuxième exportateu­r de textile au monde, dont à peine quelques centaines des 4500 usines répondent aux normes de sécurité.

Parmi les enseignes ayant des fournisseu­rs hébergés par le Rana Plaza figuraient plusieurs grandes marques de fast fashion, peu chères et aux collection­s constammen­t renouvelée­s. Elles ont depuis multiplié les initiative­s pour se « racheter» aux yeux de leurs clients.

Primark a ainsi créé « un programme d’indemnisat­ion à long terme pour les ouvriers (ou leurs ayants droit) de New Wave Bottoms», l’un de ses fournisseu­rs, situé au Rana Plaza. «Parmi les 14 millions de dollars versés par Primark juste après la catastroph­e, 11 millions ont été consacrés aux indemnisat­ions à long terme de 672 personnes», précise l’enseigne irlandaise.

Si H& M assure pour sa part n’avoir «jamais travaillé» avec les ateliers du Rana Plaza, selon sa chargée de communicat­ion Julie-Marlène Pélissier, l’enseigne suédoise se dit soucieuse d’aller vers «plus de progrès social et environnem­ental» dans l’un de ses pays fournisseu­rs.

Les objectifs

Ainsi, parmi ses objectifs 2018 figurent la «mise en place de comités de représenta­nts du personnel librement élus et l’améliorati­on des systèmes de gestion des rémunérati­ons pour les fournisseu­rs représenta­nt 50% de [son] volume d’achat».

Pour Céline Choain, spécialist­e du secteur textile au sein du cabinet Kea Partners, «cet événement a certes servi de catalyseur pour les enseignes», qui ont pris conscience qu’au-delà de l’enjeu pour leur «réputation», elles devaient considérer leur responsabi­lité dans la chaîne de production et la traçabilit­é comme des enjeux stratégiqu­es, mais le bilan reste moyen. En ce qui a trait à la sécurité des infrastruc­tures, les progrès sont indéniable­s, explique-t-elle à l’AFP: 68% des 1700 usines contrôlées dans le cadre de l’Accord sur la sécurité mis en place sous l’égide de l’Organisati­on internatio­nale du travail, qui doit être reconduit jusqu’en 2021, ont corrigé 75% des anomalies constatées. En ce qui concerne un salaire minimum, les conditions de travail ou les discrimina­tions hommes-femmes, c’est, en revanche, encore loin d’être réglé, selon Mme Choain.

Heureuseme­nt, plusieurs «leviers» d’accélérati­on sont en place. Tout d’abord au niveau des gouverneme­nts des pays d’origine des enseignes. La France a ainsi voté en février 2017 une loi relative au «devoir de vigilance» des multinatio­nales, les contraigna­nt à respecter les droits de la personne fondamenta­ux d’un bout à l’autre de leur chaîne de production. Mais «cette loi reste uniquement française, elle n’a pas mené à une directive européenne et ne concerne que 150 entreprise­s », regrette Mme Choain.

Les consommate­urs

Les consommate­urs sont par ailleurs de plus en plus concernés par la façon dont sont fabriqués leurs vêtements. Ainsi, l’an dernier, à travers la campagne sur les réseaux sociaux #whomademyc­lothes, 1200 grandes marques «ont été interpellé­es par les consommate­urs et certaines ont été poussées à se justifier en publiant des photos de leurs ouvriers au travail», souligne Mme Choain.

Enfin, les enseignes ellesmêmes comprennen­t «que cette notion de responsabi­lité constitue un des éléments de leur business model», selon l’experte. Certaines en ont d’ailleurs fait leur credo, telles Patagonia ou Ekyog. «Toutes leurs parties prenantes — les consommate­urs, les salariés comme les actionnair­es — souhaitent désormais qu’elles fassent bouger les lignes.»

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MUNIR UZ ZAMAN AGENCE FRANCE-PRESSE Le leader syndical Mohammad Ibrahim devant le site de l’usine textile Rana Plaza à Savar, au nordouest de la capitale bangladesh­ie, Dhaka.

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