Barrette placé sur la défensive
Le coût moyen des chirurgies a bondi de 20 % ; leur nombre a augmenté de 5,5 %
Le coût moyen d’une chirurgie a bondi de 20% en cinq ans, passant de quelque 2516,61 $ en 2010-2011 à 3029,92 $ en 20152016, constate-t-on à la lecture du rapport de la vérificatrice générale du Québec dévoilé mercredi.
Quelque 635 000 chirurgies ont été effectuées dans les blocs opératoires du Québec en 2015-2016, comparativement à 602 000 chirurgies en 2010-2011. Il s’agit d’une hausse de 5,5%. En contrepartie, la rémunération des médecins spécialistes — chirurgiens, anesthésiologistes et assistants opératoires — s’élevait à 1,07 milliard en 2015-2016, comparativement à
796 millions en 2010-2011. Il s’agit d’une hausse de 35,2%. Enfin, les dépenses directes d’établissement atteignaient 847 millions en 2015-2016, par rapport à 719 millions en 2010-2011. Il s’agit d’une hausse de 17,9 %.
«La preuve est faite par la vérificatrice générale: donner plus d’argent aux médecins — la recette du ministre actuel — n’a pas donné plus de soins aux patients au Québec», a lancé la porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé, Diane Lamarre, durant la période des questions.
Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a rétorqué que l’analyse de la VG, qui couvre les années 2010-2011 à 2015-2016, occulte la période post-rigueur budgétaire. « [Elle] ne prend pas en compte ce qui est arrivé après nos investissements, du Parti libéral, qui ont fait en sorte que 22 000 chirurgies de plus ont été faites [par année depuis]», a-t-il mentionné à moins de cinq mois des élections générales.
«Pas de vision»
Pourquoi le coût global des chirurgies a-t-il augmenté près de cinq fois plus rapidement que le nombre de chirurgies? La vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, s’est abstenue de hasarder une explication devant les courriéristes parlementaires mercredi. « C’est le ministère qui devrait avoir la réponse», a-t-elle affirmé après le dépôt de son rapport devant l’Assemblée nationale. « On n’a pas eu une réponse claire », a-t-elle ajouté.
La VG soutient toutefois que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ne dispose «pas de vision globale de la répartition optimale des services chirurgicaux» au Québec. «Une telle vision lui permettrait, entre autres, d’assurer une offre optimale qui tiendrait compte des besoins en fonction des particularités de chacun des établissements. De plus, le financement des services chirurgicaux ne considère pas suffisamment les besoins de la population et les soins à lui prodiguer; il est plutôt établi sur une base historique », écrit-elle dans son rapport.
Des données «pas fiables»
D’autre part, Mme Leclerc jette le doute sur la crédibilité des statistiques sur les délais d’attente en vue d’une chirurgie diffusées par le MSSS. Celles-ci reposent sur des données jugées « pas fiables », estime-t-elle.
Autrement dit, les patients québécois attendent plus longtemps pour une chirurgie que ce qu’indiquent les centres hospitaliers. C’est que le compteur tourne de la signature de la requête opératoire par le chirurgien jusqu’à la réalisation de la chirurgie. Les démarches effectuées auparavant par le patient — consultations auprès de son médecin de famille, réalisation d’analyses, de tests de laboratoire et d’examens (imagerie médicale, endoscopie, etc.), consultation d’un médecin spécialiste, etc. — ne sont pas prises en compte.
D’autre part, les professionnels de l’Hôpital général juif et de l’Hôpital régional de Saint-Jérôme choisissent de «limiter le nombre de patients inscrits sur la liste d’attente s’ils pensent ne pas être en mesure de les opérer dans le temps opératoire alloué aux chirurgiens ».
D’ailleurs, les membres de l’équipe de la VG ont décelé une «incohérence» dans 55% des cas examinés à l’Hôpital général juif, sis à Montréal. «[La] date de signature par le patient du formulaire de consentement à la chirurgie est antérieure à la date de signature de la requête inscrite dans le système », fait-elle remarquer.
Encore hors cible
Cela dit, même sous-évaluée, l’attente pour une chirurgie oncologique excède souvent la cible nationale selon laquelle 90% d’entre elles doivent être réalisées dans les 28 jours et 100% dans les 56 jours.
En 2015-2016, le délai était de moins de 28 jours dans 61% des cas; de 29 à 56 jours dans 27% des cas; et de plus de 56 jours dans 12% des cas. «La réalité est que nous avons amélioré la situation dans tous les secteurs parce que nous avons fait les bons gestes», a fait remarquer M. Barrette en chambre.
«Lorsqu’une chirurgie est nécessaire, il est important d’y avoir recours au moment opportun pour prévenir la détérioration de l’état de santé du patient. Selon la maladie, de longs délais peuvent augmenter le risque de morbidité et de mortalité, la durée de séjour à l’hôpital et la détresse psychologique. De plus, des coûts peuvent être associés à une chirurgie tardive, tels que ceux liés à des complications postopératoires. Enfin, une chirurgie tardive peut nuire à la qualité de vie du patient et à ses chances de
réadaptation », insiste la VG.
Qui plus est, Mme Leclerc soutient que les cibles nationales établies par le MSSS «ne tiennent pas compte de l’urgence», dans certains cas, de réaliser une chirurgie non oncologique au détriment d’une chirurgie oncologique. «Que ce soit pour une chirurgie oncologique ou encore pour une chirurgie non oncologique, en raison des conséquences potentielles des délais d’attente pour une chirurgie, la virulence de certaines maladies requiert une intervention plus rapide alors que, dans d’autres situations, l’intervention peut attendre plus longtemps sans causer de préjudices à la santé du patient », précise-t-elle.
Enfin, les blocs opératoires de l’Hôpital régional de Saint-Jérôme (Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides) et de l’Hôpital de Chicoutimi (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay–Lac-Saint-Jean), qui ont reçu la visite de membres de l’équipe de la VG, sont «vétustes». «[Des] équipements de chirurgie et de stérilisation ayant atteint leur durée de vie utile sont encore utilisés dans ces centres hospitaliers», indique Mme Leclerc. Ce n’est pas tout: dans des «couloirs encombrés», du «matériel stérilisé pouvait croiser du matériel non stérilisé». Là aussi, des changements doivent être apportés, selon la vérificatrice générale.