Rejetons le projet de loi 141 au nom de la protection des consommateurs
Depuis l’automne, plusieurs voix ont dénoncé et soulevé des préoccupations majeures quant à des pans entiers du projet de loi 141 (PL 141) relatif au secteur financier. Cela concerne tant l’assurance de dommages, l’assurance de personnes que l’épargne collective.
Le 7 mai dernier, toutes les associations de consommateurs du Québec, appuyées par plusieurs intervenants indépendants, ont demandé conjointement le retrait du projet de loi 141. Aujourd’hui, de manière totalement non partisane, mais forts de nos expériences et expertises, nous en appelons solennellement aux parlementaires.
Depuis 20 ans, plusieurs lois ont été adoptées et modifiées par différents parlements en établissant un équilibre fondamental permettant la fabrication de produits et de services financiers par des compagnies, et leur distribution par des professionnels. C’est à cette fin que l’Autorité des marchés financiers (AMF) et les organismes d’autoréglementation, telles la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et la Chambre de la sécurité financière (CSF), se sont vu confier des rôles complémentaires.
Le projet de loi 141 rompt cet équilibre et propose un retour en arrière au détriment des épargnants et de la responsabilité des professionnels. Il incarne une tentative de capture réglementaire possiblement à l’avantage des grandes institutions financières. En ouvrant tout grand la distribution sans représentant et par Internet sans les garde-fous adéquats, le projet de loi laissera n’importe qui «conseiller» les consommateurs, sans détenir de certification de l’AMF et sans être responsable de ses gestes. Cela favoriserait d’ailleurs la réduction du nombre de professionnels, avec un impact particulièrement marqué en régions.
L’expérience a démontré que, sans négliger une surveillance des compagnies, un encadrement centré en premier lieu sur les personnes physiques est plus efficace, car il s’incarne clairement dans la préservation de leur réputation et de leur responsabilité. Pourtant, le déséquilibre découlant du projet de loi repose sur l’écoute privilégiée et la place prépondérante octroyée aux personnes morales pour influencer la réglementation. L’abolition des organismes de protection du public que sont la ChAD et la CSF minerait inévitablement un système assurant présentement de hauts standards de professionnalisme pour les consommateurs.
Contrairement aux prétentions du ministère des Finances, nos craintes ne sont pas que des fabulations. En mars dernier, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada publiait un rapport très éloquent sur les manquements et les risques constatés dans les pratiques de vente au détail de produits par les institutions financières canadiennes. Au Québec, entre juillet 2017 et avril 2018, le site Internet de l’AMF ne recense pas moins de 16 ententes survenues avec de grandes institutions (dont Chubb, Manufacturers, Aviva, Desjardins Sécurité financière, Industrielle Alliance, Lloyds, etc.) pour des manquements associés aux ventes. Des sanctions administratives leur ont été imposées, mais elles demeurent nettement inférieures aux primes et rémunérations découlant de pratiques inconvenantes. […]
Ce projet de loi mammouth — contenant 485 pages, 2349 articles, modifiant 60 lois existantes et nécessitant 4653 pages de notes explicatives remises aux membres de la Commission des finances publiques — est si complexe qu’après dix séances en étude détaillée, seulement 27,7% des articles ont été abordés. À l’évidence, son adoption à la vapeur manquerait non seulement de sérieux, mais il constituerait un déni de démocratie aux conséquences fâcheuses et irréfléchies.
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