La déraison de l’Iran et d’Israël
Tel-Aviv se sent plus libre que jamais avec le plein soutien américain, dit un expert
Les tirs attribués à l’Iran depuis la Syrie vers le Golan, dans la nuit de mercredi à jeudi, et la réaction massive de Tsahal — l’armée de défense d’Israël — constituent une escalade inédite. Conforté par la décision de Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire, l’État hébreu, qui frappait depuis des semaines les positions iraniennes, veut montrer sa puissance.
«Ils doivent se rappeler que, lorsqu’il pleut ici [en Israël], c’est le déluge chez eux. » Jeudi matin, le ministre israélien de la Défense, Avigdor Liberman, a pu à nouveau exercer son sens de la formule imagée et brutale. L’occasion était historique: le raid aérien le plus massif de Tsahal sur le territoire syrien depuis la fin de la guerre d’octobre 1973. Depuis une semaine, alors que la sortie de Washington de l’accord sur le nucléaire iranien apparaissait inéluctable, Benjamin Nétanyahou l’assumait, le moment était venu de frapper durement l’Iran en Syrie, sur l’air des jointures qui craquent et du «donne-moi juste une raison…», comme dans les westerns. Ce que Téhéran s’est décidé à faire, passant à l’acte dans la nuit de jeudi en tirant pour la première fois en direction d’Israël.
Téhéran a tiré pour la première fois en direction d’Israël dans la nuit de jeudi
Nouvelle ère
Cette riposte, somme toute très limitée, à une série de frappes meurtrières pour les Gardiens de la révolution était archi-attendue par Israël. Le scénario avait été éventé en prime time à la télévision dès dimanche, et plusieurs sources militaires en avaient par avance minimisé la portée. S’il ne s’agissait donc que de loi du talion, la riposte israélienne apparaîtrait comme totalement disproportionnée: 50 bases bombardées, soit «la quasi-totalité des infrastructures militaires iraniennes en Syrie », dixit Liberman.
Mais les temps ont changé: «L’heure des grandes manoeuvres est arrivée. Avec le retrait mardi des États-Unis de l’accord, il règne un sentiment de nouvelle ère à la tête de l’État, estime Ofer Zalzberg, de l’International Crisis Group. Les Israéliens se sentent plus libres que jamais : non seulement les États-Unis les soutiennent sans réserve mais, pour le moment, les Russes n’interviennent pas.» Depuis des mois, Israël, qui s’est longtemps tenu à l’écart du bourbier syrien, prévient sur tous les tons la communauté internationale. Tel-Aviv a une nouvelle ligne rouge : aucune présence militaire iranienne en Syrie ne sera tolérée. Les frappes, qui ne touchaient d’abord que des camions d’armements, sont devenues de plus en plus importantes et étendues.
«On n’a jamais voulu interférer en Syrie, plaide Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale de Nétanyahou. À l’origine, nous n’avons cherché qu’à arrêter le transfert de technologies au Hezbollah. Mais à partir du moment où l’Iran installe une machine de guerre à 15km de notre frontière et viole notre souveraineté avec des drones [comme Israël l’a clamé, en février, pour justifier un raid en Syrie qui lui a coûté un de ses chasseurs F16], les règles du jeu ont changé. »
Et pas que du côté iranien. En « déchirant» l’accord sur le nucléaire iranien, Trump a redéfini les équilibres régionaux : « L’Iran est soudainement plus faible, parce que Téhéran doit faire preuve de self-control afin de ne pas perdre les Européens qui le soutiennent encore et dont il a besoin économiquement», explique à Libération Ofer Zalzberg.
Round de fin
Réputé frileux sur la question des opérations extérieures, Nétanyahou a pourtant considéré que le marasme suivant la décision de Trump, qu’il a largement encouragée, «était la période à moindre risque pour faire ce qu’il envisageait depuis longtemps», confirme l’analyste. Et l’occasion de grimper dans les sondages, reléguant loin dans l’inconscient collectif le souvenir de ses déboires judiciaires. Quelles suites ? « Les médias iraniens ont minimisé l’ampleur des frappes, note Zalzberg, ce qui pourrait laisser penser à une volonté d’éviter l’escalade. Israël communique à outrance, l’opinion semble contentée. Des deux côtés, quelque part, chacun a eu son compte dans ce qui pourrait s’apparenter à un round de fin, la clôture d’une séquence. » Restent deux inconnues: l’hubris israélien (cette semaine, le ministre de l’Énergie, proche de Nétanyahou, avançait l’idée de «liquider» al-Assad) et le «gros calibre» de Téhéran, pour reprendre le jargon militaire israélien, c’est-à-dire le Hezbollah libanais.