Docteur Filou
À vouloir explorer d’autres avenues, Lorraine Levy s’est perdue en cours de route
Pièce à succès de Jules Romains créée en 1922, plusieurs fois adaptée au cinéma et sur laquelle plane l’ombre écrasante du vénérable acteur Louis Jouvet, Knock évoque à la fois les duperies de la médecine et la naïveté du bon peuple prêt à les gober. Certains cyniques diront qu’elle est toujours d’une cruelle actualité.
Star au sourire craquant, au physique imposant et à l’allure débonnaire, Omar Sy possède un immense capital de sympathie: plusieurs lui donneraient tous les droits, dont celui de se faire rouler dans la farine par ses bons soins. Ce charisme n’a pas échappé à Lorraine Levy (La première fois que j’ai eu 20 ans, Le fils de l’autre) au moment d’offrir sa propre lecture d’un récit à la base plus grinçant, plus moqueur, moins larmoyant.
Le petit monde dans lequel ses personnages évoluent a certes connu deux guerres mondiales, mais est aussi fortement imprégné du triomphalisme des années 1950, celui d’un grand renouveau, parfois à saveur mercantile. Ajoutez à cela un charmant petit village qui plairait autant à Marcel Pagnol, à Jacques Tati qu’à Dany Boon, une distribution de solides acteurs capables de s’effacer devant leur personnage (Hélène Vincent, Michel Vuillermoz, Andréa Ferréol), et on pourrait croire que la cause est entendue.
Or, parachuter Omar Sy dans un univers vieille France-béret-baguette sans que jamais la couleur de sa peau ne soit un enjeu dramatique, cela relève du pari courageux, mais surtout d’une vision d’un pays et d’une époque que l’on pourrait croire envahis par les licornes… Même un des rares personnages détestables du film ose à peine en faire mention, au tout début du film, question d’expédier la chose pour laisser place à ce que Lorraine Levy juge essentiel.
Celui qui fut autrefois un petit bandit de grand chemin s’est découvert une passion pour la médecine, et après cinq années d’études acharnées, il revendique fièrement son diplôme en débarquant dans le village de Saint-Maurice (plus carte postale que ça, tu meurs…) pour remplacer un médecin sans ambition. Knock, lui, en a à revendre, offrant des consultations gratuites, prodiguant des conseils judicieux à des gens qui jusque-là refusaient les médicaments, et surtout de délier les cordons de leur bourse. Le voilà donc qui opère une véritable révolution médicale, au point de froisser le curé (Alex Lutz, sans nuances) et de séduire, en gentleman, une jeune paysanne (Ana Girardot) à la solde d’une patronne acariâtre (Sabine Azéma en passant).
Alors que le Knock de Jules Romains ne faisait pas de mystère sur ses intentions, celui de Levy détrousse ses semblables avec un large sourire, mais, preuve d’un scénario tarabiscoté, sans que l’on comprenne vraiment ses motivations profondes. Sous nos yeux s’opère une si spectaculaire transformation sociale, portée par un tel enthousiasme, que chaque village dévitalisé du Québec rêvera bientôt d’accueillir son Knock…
Il n’y a pas de mal à injecter une dose d’optimisme à un monde qui en a bien besoin, mais le faire dans une posture digne d’un cinéma de papa d’un autre temps, y a de quoi courir chez le docteur.
Knock
★★ 1/2
Comédie de moeurs de Lorraine Levy. Avec Omar Sy, Ana Girardot, Alex Lutz, Michel Vuillermoz. France–Belgique, 2017, 114 minutes.