Des villes inventives
Planter des fleurs, c’est bien, mais à longueur de journée, cela peut causer d’importants maux de dos, voire des troubles musculosquelettiques. Afin de protéger la santé de ses jardiniers, le Service des parcs et espaces verts de la Ville de Terrebonne a dessiné, conçu et fait homologuer un concept de chariot amovible, inclinable et réglable. Celui-ci permet de planter des fleurs dans des boîtes de plastique afin de créer un mur végétal. Les jardiniers travaillent donc sans s’abîmer la colonne vertébrale. Déjà primé par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), le projet est en lice pour un prix du Mérite Ovation municipale de l’Union des municipalités du Québec (UMQ).
Au total, 22 projets, sur les 88 soumis au départ, sont en nomination dans 7 catégories, comme Aménagement, urbanisme et développement durable, Sécurité publique ou Ressources humaines, gestion des opérations et contrats. On y retrouve des projets comme le Centre multifonctionnel des Roses à Québec, lequel regroupe une cinquantaine de logements sociaux, un centre communautaire et des locaux polyvalents pour des activités. Ou encore le parcours balisé de course à pied Boomerang à Beloeil, homologué par Athlétisme Canada, avec ses deux trajets sécuritaires et pratiques de 5 km et un autre de 21,1 km favorisant les saines habitudes de vie des citoyens.
À Val-des-Monts, les services de sécurité incendie ont élaboré leur propre solution pour surmonter le défi du déficit d’approvisionnement en eau utilisée pour lutter contre les incendies, provoqué par la croissance de la population. Les nouvelles bornes sèches amovibles, réglables et pivotantes satisfont aux besoins d’approvisionnement en eau en cas d’incendie à un coût bien moindre que d’autres solutions envisagées. Elles rendent les interventions des pompiers plus sécuritaires, puisqu’ils n’ont pas à transporter ni à décharger du matériel lourd.
Surmonter des défis
«Les services municipaux innovent souvent parce qu’ils affrontent un défi, parce que les élus leur en font la commande ou parfois simplement parce qu’un employé a une bonne idée pour améliorer un procédé ou un outil», résume Gérard Beaudet, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal.
Il donne l’exemple d’une municipalité où les employés peinaient à retirer puis à replacer les lourdes baies vitrées entourant la patinoire chaque fois qu’un spectacle ou une activité le commandait. La Ville avait trouvé un système de treuils installés au plafond, qui circulaient le long des bandes et manoeuvraient les baies vitrées. Sauf que cette option coûtait une fortune.
Les préposés à l’entretien de la patinoire ont plutôt fabriqué et installé un bras mécanique muni de ventouses sur la surfaceuse. Il fait le même travail pour une fraction du coût.
Les besoins en innovation suivent souvent la conjoncture. Par exemple, l’épidémie d’agrile du frêne a suscité la recherche de réponses novatrices, tout comme les suites de la commission Charbonneau ou les scandales liés à certains contrats informatiques dans les municipalités ont exigé d’élaborer de nouveaux procédés de contrôle des processus d’octroi de contrats.
Selon Gérard Beaudet, des villes ont développé une très belle culture de l’innovation au fil des ans. Certaines, comme Terrebonne, Trois-Rivières ou Gatineau, sont des abonnées du Mérite Ovation municipale, auprès duquel il est juré depuis neuf ans.
Culture d’innovation
Professeur et directeur de l’École d’urbanisme de McGill, Richard Shearmur a beaucoup étudié les processus d’innovation dans les petites et moyennes entreprises. Ses trois passages à titre de juré du concours Mérite Ovation municipale et des recherches connexes lui ont permis de relever les différences entre l’innovation dans les secteurs privé et public.
«La plus grande différence est la finalité, soutient-il. Dans les entreprises privées, il s’agit de dégager plus de profits, et l’innovation est évaluée par le marché. Dans le secteur public, il s’agit plutôt de régler des problèmes, et l’évaluation s’effectue à l’interne ou par la population. »
Les conditions d’innovation sont aussi très différentes. Une PME a le loisir d’innover comme elle l’entend, quitte à prendre de gros risques. Au bout du compte, le pire qui puisse arriver est qu’elle fasse faillite. Les décisions relèvent donc de la volonté des propriétaires. Une municipalité ne peut s’autoriser un tel niveau de risque. Les élus et les fonctionnaires redevables devant la population doivent se garder d’engendrer des problèmes pires que ceux qu’ils tentaient de régler, d’empêcher un service municipal de fonctionner correctement ou de laisser les coûts s’envoler.
Pour toutes ces raisons, Richard Shearmur n’est pas prêt à jeter la pierre aux élus ou fonctionnaires municipaux craintifs d’aller de l’avant avec les idées d’innovation des employés de leur ville.
Il note toutefois que certains y prennent goût et qu’en multipliant les innovations ils développent des capacités d’innovation à l’interne dans certains créneaux. Il pense, par exemple, à Trois-Rivières. La ville mauricienne a beaucoup innové ces dernières années dans la gestion interne des services municipaux. Cette année encore, la voilà finaliste avec un projet d’optimisation des processus liés à la gestion du plan triennal d’immobilisation et à la gestion contractuelle.
À court terme, une innovation développée à l’interne n’est pas toujours moins coûteuse que le recours à une firme externe. «Toutefois, recourir à l’externe ne permet pas de développer des capacités à l’interne, or ces dernières peuvent, à moyen et long termes, devenir moins coûteuses que l’utilisation systématique de ressources externes», explique le professeur de McGill.
C’est d’autant plus vrai que les villes partagent beaucoup leurs innovations entre elles. Une firme externe facturera chacune des villes auprès desquelles elle aura implanté la même innovation, alors qu’implanter soi-même une nouveauté développée par une autre municipalité permet d’économiser.
« Il ne faut pas se limiter à une vision comptable et à court terme de l’innovation municipale, car c’est à moyen et long termes qu’elle porte ses fruits», conclut Richard Shearmur.
«Les services municipaux innovent souvent parce qu’ils affrontent un défi, parce que les élus leur en font la commande ou parfois simplement parce qu’un employé a une bonne idée pour améliorer un procédé ou un outil»