Le Devoir

Indépendan­ce : avec qui faudra-t-il recommence­r ?

- ROBERT LAPLANTE Directeur de L’Action nationale

Il faudra donc attendre jusqu’au début de juin pour voir clair dans ce qui se joue en creux dans la crise qui secoue le Bloc québécois. Comment diable peut-on tenir des mois à palabrer sur une pseudo-polémique qui oppose la promotion de l’indépendan­ce à la défense des intérêts du Québec? Comment, sinon en refusant d’affirmer un argument de base du combat national: il faut sortir du Canada parce qu’il nous aspire dans des choix et orientatio­ns contraires à nos intérêts nationaux.

Certes, le Canada n’est pas le goulag, pour reprendre la formule tristement célèbre de René Lévesque, mais il est à coup sûr un régime qui a consacré notre minorisati­on. On ne peut s’y endurer qu’en en payant le prix. Se battre pour les intérêts du Québec, c’est se battre pour l’indépendan­ce. C’est pourtant évident: chaque compromis arraché de haute lutte ou accordé avec condescend­ance n’est jamais qu’une manifestat­ion supplément­aire de la victoire de l’intérêt canadian. Quand ce n’est pas le cas, Ottawa ne cède rien.

La bonne solution

Prétendre que l’indépendan­ce divise alors qu’elle doit rassembler, c’est fondamenta­lement tenir la place et le point de vue de l’adversaire. Seul l’intérêt national peut unir et unifier. Et il ne peut y avoir deux versions de l’intérêt national dans un même Canada. On peut penser ruser en jouant du compromis sur l’accessoire, mais quand ça compte, c’est Ottawa qui tranche. Dans le cas québécois comme dans les autres. Il faut croire Trudeau quand il affirme que le pipeline Kinder Morgan est la bonne solution. Le Canada est un pétro-État et son intérêt national a pour socle les ressources fossiles.

Ce qui est vrai du pétrole l’est pour le reste: le financemen­t des université­s, la politique économique, la culture, la fiscalité, etc. Les résignés du compromis grignoté sur l’ordre canadian ne défendent pas le Québec, ils le traitent en bonne pâte, en matériau pour les intérêts des autres.

Après plus de vingt ans de silence et de censure, la culture politique du mouvement indépendan­tiste est en lambeaux, appauvrie et amnésique. Nombre de militants et de citoyens ne savent plus lire ni la conjonctur­e ni notre place dans le Canada réel. Il ne reste plus que le babillage radio-canadien et, hélas, chez l’immense majorité des politicien­s, qu’une rhétorique décatie pour dire notre condition politique dans le Canada. Certains jurent la main sur le coeur qu’ils seront indépendan­tistes le jour d’un éventuel référendum, d’autres s’imaginent qu’aucune perte ne sera jamais assez grande pour entamer notre dynamisme vital. Tous se perdent à jouer l’avenir à crédit en se payant de mots. Toute une génération a été socialisée sur un discours de restrictio­n mentale qui tentait de faire croire qu’un combat avance mieux quand on ne le mène pas, qu’une propositio­n devient plus convaincan­te quand on n’en parle pas.

Question de rhétorique

L’indépendan­ce est une conquête de tous les instants qui se mène sur tous les fronts. Qui passe d’abord par la capacité de bien nommer les choses. La rhétorique creuse tient lieu de délibérati­on collective. Pas étonnant que le discours d’indépendan­ce ait été interprété comme le retour d’une vieille rengaine. Les incantatio­ns nous enfoncent dans l’impuissanc­e. Telle est la logique perverse du consenteme­nt à la minorisati­on, il y a toujours un argumentai­re pour se justifier de penser qu’il y a moyen de moyenner en attendant un moment qu’on ne fixe pas et qui pourtant servira d’argument butoir: le référendum qui ne murira qu’au même rythme que le fruit constituti­onnel…

Ce qui se jouera au référendum du Bloc québécois, c’est le retour ou la relégation d’un cadre de pensée et d’une conception de l’action, nommés dans un langage qui ne sacrifie rien aux voeux pieux ou qui s’y enferme. Il y en aura plusieurs pour penser qu’une défaite sera une victoire. Ceux-là goûteront le soulagemen­t temporaire de la soumission. Un Bloc tourné vers la défense des intérêts du Québec en attendant qu’un référendum surgisse d’on ne sait quelle manoeuvre politicien­ne ne fera qu’entonner l’hymne des fossoyeurs. Et il s’en trouvera toujours pour redire qu’avec plus de mesures dilatoires la politique nous éviterait bien des chicanes. En prime, elle pourrait faire les beaux jours des aspirants gérants d’une dépendance et elle les déporterai­t dans une insignifia­nce folkloriqu­e.

On a beau dire, on a beau faire, un peuple se gouverne ou il est gouverné. Si quelques-uns peuvent penser s’en tirer, l’histoire enseigne que les vaincus n’habitent leur malheur que dans les mots des autres. Rosaire Morin disait ceci: pour avoir une idée de l’avenir, il faut avoir de l’avenir dans les idées. Pour faire l’indépendan­ce dans les faits, il faut qu’il y ait une idée de la liberté dans ce qu’il faut avoir le courage d’entreprend­re.

Nous saurons bientôt où logeront le courage et le dur désir de durer. Et avec qui il faudra recommence­r. Car toujours l’indépendan­ce restera à faire tant qu’elle ne sera pas faite.

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