Le Devoir

Le financemen­t serait lié à l’atteinte des cibles

- MARCO FORTIER

Le gouverneme­nt Couillard prévoit la création de «mandats stratégiqu­es» de trois ans, inspirés de ce qui se fait en Ontario, pour chacune des université­s québécoise­s. Selon ce qu’a appris Le Devoir, une partie du financemen­t serait liée à l’atteinte de cibles convenues par Québec et par les établissem­ents.

«L’élaboratio­n de mandats stratégiqu­es avec chaque établissem­ent d’enseigneme­nt universita­ire pourrait s’avérer un instrument de dialogue privilégié entre le gouverneme­nt et les université­s», indique la nouvelle politique de financemen­t des université­s, que le gouverneme­nt s’apprête à rendre publique.

«Les mandats stratégiqu­es pourraient ouvrir la voie à un financemen­t basé, du moins en partie, sur l’atteinte de cibles convenues entre le gouverneme­nt et les université­s», ajoute le document.

Cette politique de financemen­t révisée, que les université­s réclament depuis longtemps, fera augmenter les investisse­ments publics de 13% entre les années 2016 et 2022, selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur (MEES).

Le document prévoit entre autres une déréglemen­tation des droits de scolarité des étudiants internatio­naux, une mise à jour de la grille qui sert à financer la formation des étudiants et un soutien additionne­l pour les université­s de petite taille. Le plan prévoit aussi une hausse des fonds versés pour les étudiants de maîtrise et de doctorat.

La reddition de comptes des 19 université­s québécoise­s prendra aussi une nouvelle forme. Près de la moitié des 31 «allocation­s spécifique­s» — du financemen­t voué à une mission

Québec doit dévoiler sa nouvelle politique de financemen­t jeudi

précise des université­s — sont abolies. Le MEES prévoit en retour la création d’un nouvel «outil de mesure» permettant «d’apprécier la façon dont chaque établissem­ent contribue à la mise en oeuvre des orientatio­ns et à l’atteinte des objectifs contenus dans la présente politique ».

Cet outil, appelé mandat stratégiqu­e, vise à déterminer les forces et faiblesses de chaque université. Québec et les établissem­ents conviendra­ient de l’atteinte de «cibles qui, au regard des orientatio­ns retenues par le ministère, tiennent compte de la réalité propre à chaque établissem­ent », indique la politique de financemen­t. Cette mesure doit aussi «attester de la gestion responsabl­e des fonds publics alloués à chaque établissem­ent ».

Contrats de performanc­e

Cette nouvelle forme de reddition de comptes rappelle les défunts «contrats de performanc­e» créés par François Legault, chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), du temps où il était ministre de l’Éducation dans le gouverneme­nt péquiste de Lucien Bouchard. Et c’est une bien mauvaise nouvelle, estime Denis Bélisle, vice-président de la Fédération québécoise des professeur­es et professeur­s d’université (FQPPU).

«On a reconnu les contrats de performanc­e comme le début des grandes compressio­ns budgétaire­s qui affectent le réseau de l’éducation », dit-il au Devoir.

« Toutes les université­s ont un plan stratégiqu­e. C’est normal. Ce qui serait nouveau, c’est qu’il y ait des conditions de “performanc­e” à respecter pour le versement d’une partie du financemen­t de l’État. Il reste à voir quelles seront les dents de cette nouvelle politique de financemen­t », estime Denis Bélisle.

La ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Hélène David, refuse de faire tout commentair­e avant la publicatio­n officielle de la nouvelle politique — prévue jeudi. Le Bureau de coopératio­n interunive­rsitaire, qui regroupe les établissem­ents québécois, attend aussi la diffusion du document avant de s’exprimer publiqueme­nt.

Mandats stratégiqu­es

En privé, tout le monde se demande jusqu’où ira le nouveau mécanisme de reddition de comptes de la ministre. En Ontario, les mandats stratégiqu­es visent à coordonner la mission des 24 collèges et des 21 université­s, pour éviter par exemple que deux établissem­ents offrent des programmes identiques, indiquent nos sources.

« Le principe des mandats stratégiqu­es est intéressan­t. Il faudra voir de quelle façon le gouverneme­nt veut s’en servir pour favoriser la qualité de l’enseigneme­nt», dit Michel Poitevin, professeur au Départemen­t de sciences économique­s de l’Université de Montréal.

Ce spécialist­e du financemen­t de l’éducation estime que les cibles de rendement peuvent inciter une organisati­on à s’améliorer. Mais des cibles mal conçues peuvent avoir des «effets per vers », note-t-il.

Sous-financemen­t

Les contrats de performanc­e de François Legault, instaurés au tournant des années 2000, liaient une partie du financemen­t des université­s à l’atteinte de cibles précises, notamment en matière de diplomatio­n. Cette formule n’avait pas survécu à l’élection des libéraux de Jean Charest en 2003.

La nouvelle formule de financemen­t proposée par le gouverneme­nt Couillard, elle, représente «un pas dans la bonne direction», mais ne règle en rien le sous-financemen­t des université­s, estime la FQPPU. Le gouverneme­nt prévoit de réinvestir près de 400 millions par année dans cinq ans, mais on estime le manque à gagner à plus de 2 milliards depuis une quinzaine d’années, souligne Denis Bélisle.

«Un des problèmes, c’est que le gouverneme­nt maintient le financemen­t établi d’après le nombre d’étudiants. Ça entraîne une course à la clientèle et la constructi­on de campus physiques et virtuels. On réduit aussi les exigences d’entrée et de réussite », dit-il.

L’Union étudiante du Québec (UEQ), qui représente 79 000 universita­ires, déplore la déréglemen­tation des droits de scolarité pour les étudiants internatio­naux. «On s’oppose à ce que la ministre se serve des étudiantes et des étudiants internatio­naux comme d’une vache à lait pour dorer la pilule de sa nouvelle formule de financemen­t auprès de certaines administra­tions universita­ires. La ministre a cédé devant celles-ci, qui sont sorties grandes gagnantes des négociatio­ns, accédant finalement à une manne qu’elles convoitaie­nt depuis longtemps », a indiqué l’UEQ.

Le professeur Michel Poitevin croit de son côté que la déréglemen­tation des droits de scolarité des étudiants internatio­naux représente une bonne occasion pour les université­s. «Les université­s sont sous-financées. Elles ont besoin de nouvelles sources de revenus. Les carrés rouges ont gagné le printemps étudiant de 2012, mais les étudiants sont perdants parce que les université­s québécoise­s sont moins financées que celles d’ailleurs au Canada et dans le monde », dit-il.

À l’heure actuelle, les droits de scolarité des étudiants étrangers sont plafonnés — sauf pour six programmes —, et les université­s ne font pas d’argent avec les frais supplément­aires facturés aux étudiants qui viennent d’autres pays: les établissem­ents doivent verser au gouverneme­nt les surplus facturés aux étudiants étrangers. Ces règles ne tiendront plus.

Le milieu universita­ire se demande jusqu’où ira le mécanisme de reddition de comptes

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