Le mentor
Serge Denoncourt dirige trente jeunes garçons dans une adaptation du populaire film Les choristes
En 2004, le gentil film du Français Christophe Barratier avait conquis bien des coeurs à travers le monde. Serge Denoncourt n’était pas de ceux-là. «J’étais trop vieux pour aimer ça et trop jeune pour en voir le côté nostalgique de l’enfance.» Le «méchant» juge des Dieux de la danse a donc commencé par refuser la mise en scène de ce récit plein de bons sentiments.
Puis, en revoyant Les choristes, il a réalisé que, «même si le film est sans aspérités et très consensuel, c’est l’histoire d’un homme qui va dans un milieu défavorisé aider des jeunes sans avenir.» Une expérience qu’il a lui-même vécue auprès de Roms vivant dans un bidonville, avec le spectacle GRUBB. C’est surtout cette situation de transmission, cette position de mentor avec des enfants, qu’il a eu envie
de répéter à travers ce projet.
Il a choisi des chanteurs, qu’il forme luimême au jeu. «Et ils sont formidables.» Serge Denoncourt est visiblement ravi de son expérience avec «[ses] trente p’tits gars», [deux distributions en alternance] choisies au sein de la Maîtrise des Petits Chanteurs du Mont-Royal et des Petits Chanteurs de Laval. « Les choristes demande une énergie complètement différente de celle du metteur en scène normal. On est coach de hockey, animateur… J’a-do-re ça. »
Et nul besoin d’adoucir son style avec ces pré-adolescents. « Avec eux, il n’y a pas de bullshit, c’est ce que j’aime. J’ai dessiné un gros thermomètre [en salle de répétition] : on s’approche de la victoire, on s’éloigne. Et ça marche, ça les motive. J’ai vraiment du fun avec cet âge-là: ils sont sur le bord de penser qu’ils savent tout, mais tu peux leur prouver le contraire en 30 secondes. Ils ont de l’humour. Ils me font beaucoup rire.» Et vice versa, apparemment.
En fait, avance-t-il, «si on me donnait le choix, je pense que je répéterais tout le temps avec des enfants…» Ce sont des interprètes sans inhibition. «On est en situation de jeu. Et moi, c’est comme si j’étais un metteur en scène de cour d’école. Je les dirige comme ça. »
«Les
choristes demande une énergie complètement différente de celle du metteur en scène normal.
» On est coach de hockey, animateur… J’a-do-re ça. Serge Denoncourt
L’art qui sauve
Créée l’hiver dernier à Paris, l’adaptation théâtrale comportait des chansons additionnelles, interprétées par les personnages adultes. Or, avec la permission de l’auteur, Denoncourt désirait plutôt monter du théâtre musical. La version québécoise s’avère donc «beaucoup plus près du film que la production scénique française ».
En plus d’adapter la langue, Maryse Warda et lui ont transposé en Beauce ce récit campé dans un sévère internat pour garçons en 1949. Une histoire crédible dans le Québec de la «Grande Noirceur». «Ces enfants [mis au rancart], ce sont un peu les orphelins de Duplessis. » Mais dans un esprit « très bon enfant ».
Pour camper Clément Mathieu, le musicien devenu surveillant qui va composer une chorale avec ces jeunes négligés, il a pensé à François Lécuyer, un comédien qu’on voit peu au théâtre mais qui connaît la musique. « Tout le monde voulait que je cherche une tête d’affiche. Mais la vedette des Choristes, c’est la chorale. »
Même le cynisme du metteur en scène devant les bons sentiments («je ne peux pas dire le nombre de blagues cyniques que je fais en répétitions») fond devant l’émotion suscitée par le talent. «La première fois que les jeunes ont bien chanté, on a tous eu les larmes aux yeux. »
C’est sur la découverte miraculeuse d’un don artistique chez des êtres présumés incapables de faire quoi que ce soit que le show repose. «L’art, comme le sport, peut sauver des vies. Des destins. Tout à coup, on te dit que tu es bon dans quelque chose.» Lui-même se rappelle la « tempête » qui l’a secoué lorsqu’il s’est retrouvé devant un Rom de 12 ans « qui est, encore aujourd’hui, le plus grand interprète » qu’il a vu de sa vie.
Et ce qu’il voyait d’abord comme un défaut dans Les choristes, sa simplicité, lui paraît maintenant une qualité: le spectacle est accessible aux enfants, et donc susceptible de les encourager à une pratique artistique. Comme le film l’aurait fait, incitant «plein de petits garçons à s’inscrire dans des chorales ».
Denoncourt rappelle qu’il «travaille avec une matière précieuse » : cette voix pure, angélique, que seuls les jeunes garçons possèdent et que, à l’âge où la pièce capture le soliste Pierre Mo- rhange, les chanteurs sont sur le point de perdre, comme un symbole de l’enfance quittée. «Si on reprend la pièce à Noël, plusieurs voix vont avoir mué. »
La pérennité d’un créneau
Fin juillet, le metteur en scène va diriger Edmond, du Français Alexis Michalik, aussi produit par Juste pour rire. Une organisation devenue pestiférée pour plusieurs. Denoncourt, lui, a décidé de ne pas se retirer de ces projets. Il estime qu’en liant les spectacles aux allégations contre le fondateur, «on mélange deux sujets». «Si j’annule ces shows, je punis qui? Je punis 40 acteurs, des concepteurs, le public. » Pas le principal concerné…
Alors, il a choisi son équipe à Juste pour rire, «des gens qui ne connaissaient même pas Gilbert Rozon», et a négocié un contrat «protégeant tous les artistes», avec un droit de retrait si l’entreprise n’était pas vendue avant la production. Chose faite cet hiver, au groupe américain ICM Partners.
Il juge aussi important de maintenir le créneau de théâtre estival que l’empire avait développé au TNM. Histoire d’en montrer à ICM l’existence, et le succès. Dans l’espoir d’en assurer la pérennité. « Mais lorsqu’on est 25 sur scène, on rapporte toujours moins de sous que les humoristes. C’est ce qu’ils doivent accepter. »
À l’été 2019, Denoncourt, recruté par des Français émus par son Dialogue des carmélites, va créer Bernadette de Lourdes, sur les lieux de ladite apparition de la Vierge. C’est l’histoire «d’une fille de 13 ans qui tient tête à tout le monde», dont il a écrit le livret à partir des interrogatoires du Vatican. Un autre projet où personne ne l’attendait — à commencer par lui, le non-croyant. « Mais c’est ce que je trouve formidable. J’ai 56 ans et je n’avais pas essayé ça encore, une comédie musicale religieuse. »