Le Devoir

Un engagement sans précédent d’Ottawa

Kinder Morgan sera indemnisée pour toute entrave causée par la Colombie-Britanniqu­e

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa Avec La Presse canadienne

Le gouverneme­nt de Justin Trudeau veut absolument que l’oléoduc Trans Mountain voie le jour et il est prêt pour ce faire à offrir des indemnités financière­s à la société qui pilote le projet, Kinder Morgan. Combien? Sous quelle forme? En contrepart­ie de quoi? Toutes ces questions restent sans réponse pour l’instant. Une seule chose est certaine: Ottawa entend faire porter par le gouverneme­nt de Colombie-Britanniqu­e le poids politique de cet engagement financier sans précédent.

«Nous sommes prêts à indemniser le projet contre toute perte financière qui pourrait découler des tentatives du premier ministre [John] Horgan de repousser ou d’entraver le projet», a indiqué le ministre des Finances Bill Morneau en conférence de presse.

Sa sortie coïncidait avec la tenue le même jour de la réunion des actionnair­es de Kinder Morgan. La compagnie exige d’obtenir des assurances d’ici le 31 mai, sans quoi elle renoncera à son projet de 7,4 milliards de dollars.

M. Morneau n’a pas indiqué la somme maximale qu’il est prêt à verser, promettant seulement qu’elle sera «responsabl­e d’un point de vue fiscal». Il n’a pas dit s’il exigerait en contrepart­ie des parts dans le projet donnant droit à une partie des profits, bien qu’il n’ait pas écarté cette idée. «Nous n’en sommes pas encore arrivés à une quelconque conclusion. »

Surtout, on ignore comment cette indemnité sera calculée. M. Morneau a insisté pour dire qu’il s’agissait de compenser les pertes découlant des gestes posés par le gouverneme­nt de M. Horgan pour bloquer le projet.

Mais comment départager­a-t-on ces coûts de ceux découlant d’un imprévu technique, d’un retard de livraison ou encore de contestati­ons citoyennes qui seraient survenues nonobstant l’action de Victoria ? Ni le ministre ni son entourage n’ont fourni de réponse.

Promesse sans précédent

Le gouverneme­nt de coalition NPD-Parti vert de Colombie-Britanniqu­e s’oppose au projet de Kinder Morgan, consistant à construire un tuyau parallèle à celui existant déjà pour en augmenter la capacité.

Le mois dernier, M. Horgan a dévoilé un projet de loi obligeant toute entreprise voulant augmenter ses livraisons de pétrole bitumineux dans la province à d’abord obtenir un permis et il a déposé un renvoi à la Cour d’appel pour avaliser ce projet.

Karl Moore, professeur à l’École de gestion de l’Université McGill, estime que cette promesse d’Ottawa est sans précédent. «Je ne peux pas me souvenir de quoi que ce soit de similaire à cela. C’est très inusité, si ce n’est pas unique», ditil au Devoir.

Selon lui, cette indemnisat­ion est bien différente des subvention­s (les 48 aides fédérales à Bombardier depuis 1966, par exemple), des garanties de prêt (celles totalisant 9,3 milliards au projet hydroélect­rique terreneuvi­en Muskrat Falls) ou encore des prises de participat­ion (10,8 milliards dans GM en 2009 et 8,5% d’équité dans la plateforme pétrolière Hibernia en 1993). «C’est le fait que ce soit ouvert, sans limites.»

Le ministre Morneau a par ailleurs promis que si jamais Kinder Morgan abandonnai­t le projet, «l’indemnisat­ion contre toute perte financière serait toujours en place pour une autre partie qui souhaitera­it prendre la relève». Comment une autre entreprise pourrait-elle entreprend­re le dédoubleme­nt d’une infrastruc­ture appartenan­t à Kinder Morgan? Mystère.

L’Alberta devait adopter mercredi son projet de loi permettant de cesser les livraisons de pétrole, pour consommati­on locale, à sa voisine en guise de représaill­es.

«Je suis prête à fermer le robinet», a menacé la première ministre Rachel Notley. «Ça pourrait arriver très vite, a-t-elle précisé. Cela pourrait prendre 24 heures ou quelques semaines. »

Le chef de la direction de Kinder Morgan, Steven Kean, ne s’est pas adressé aux médias au terme de l’assemblée des actionnair­es autrement que pour dire qu’il «apprécie» l’annonce faite par M. Morneau. Dans une déclaratio­n écrite, il a indiqué que «bien que les discussion­s se poursuiven­t [avec Ottawa], nous ne nous sommes pas encore entendus et nous ne négocieron­s pas sur la place publique ».

Désaccord Notley-Singh

Les conservate­urs raillent le chef libéral. «Seul Justin Trudeau pouvait prendre un projet que les Canadiens soutiennen­t, qui crée des milliers d’emplois et qui aide notre économie, et le faire financer par les contribuab­les», écrivent-ils dans un communiqué de presse.

Sur Twitter, le chef néodémocra­te a parlé d’un « chèque en blanc des libéraux à la pétrolière texane » et déploré que les «risques [soient] transférés aux Canadiens». Selon Jagmeet Singh, «cet oléoduc ne devrait pas être construit».

Rachel Notley, qui est pourtant de la même famille politique que lui, a rétorqué que «Jagmeet Singh a absolument, fondamenta­lement, irréfutabl­ement tort en regard de chaque élément de ce gazouillis». Elle a indiqué ne pas avoir parlé à M. Singh « récemment ».

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JONATHAN HAYWARD LA PRESSE CANADIENNE La pétrolière texane Kinder Morgan compte construire un tuyau parallèle à l’oléoduc existant pour en augmenter la capacité.

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