Le Devoir

Les femmes locataires victimes de violence sont mal protégées par la loi

- LISA-MARIE GERVAIS

Les femmes locataires victimes de violence qui souhaitent résilier un bail ne sont pas bien protégées par la loi. C’est ce qu’ont constaté deux professeur­es de droit de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) qui ont étudié l’impact de l’article 1974.1, introduit au Code civil en 2006.

Cet article de la loi visait pourtant à permettre à une femme locataire agressée ou violentée par son conjoint ou ex-conjoint de rompre son bail si elle décidait de quitter son logement.

Or, en étudiant les décisions de la Régie du logement, les deux chercheuse­s ont remarqué qu’il existe de nombreux obstacles empêchant les femmes locataires d’y avoir recours. À commencer par la longueur du formulaire, qui fait sept pages.

«Quand on vit de la violence, on est dépassé, on est en maison d’hébergemen­t ou temporaire­ment chez une amie. Faire toutes ces démarches est exigeant», dit Nathalie Blais, professeur­e à l’UQO, lors de sa présentati­on au colloque intitulé « Perspectiv­es féministes surlelogem­entdesfemm­es», qui se terminait mercredi à l’UQAM.

« Il arrive souvent que le conjoint disparaiss­e au même moment et c’est la femme qui doit payer

» la totalité du loyer Nathalie Blais, professeur­e à l’UQO

Preuves de violence

Pour pouvoir résilier son bail, une femme locataire doit donc soumettre un avis au propriétai­re lui expliquant qu’elle subit de la violence et doit aussi fournir des preuves de ces violences, attestées par un fonctionna­ire ou un officier public habilité, souvent un procureur chargé des enquêtes au criminel. «Si un des deux documents n’est pas remis, 1974.1 ne sert à rien», insiste MarieNoëll­e Laperrière.

Ce qui arrive malheureus­ement assez souvent, a constaté sa collègue, qui a étudié une soixantain­e de décisions entre 2006 et 2011.

Les raisons? Au-delà de la lourdeur de la procédure, il y a le caractère «intrusif» de l’attestatio­n qui peut être rebutant pour les femmes.

Une locataire doit en effet indiquer au locateur par qui elle a été violentée ou agressée (conjoint, ex-conjoint, etc.), de même que préciser le type de violence (sexuelle ou autre) vécu. «[Rien] ne justifie qu’elle donne ces informatio­ns au propriétai­re», a dit Nathalie Blais.

La locataire doit aussi donner son consenteme­nt à ce que d’autres renseignem­ents personnels pertinents à l’enquête que mènera l’officier public puissent être divulgués, sans qu’aucun lien de confiance n’ait réellement été établi, ont noté les chercheuse­s.

Deux mois de loyer

Jusqu’en 2012, les femmes avaient la responsabi­lité de trois mois de loyer à partir du dépôt de l’avis. Depuis l’introducti­on de 1974.1 en 2006, c’est deux mois. «C’est quand même beaucoup quand on est en urgence et qu’en plus on doit payer un second loyer», a fait remarquer Mme Laperrière. «Ce n’est pas adapté.»

D’autant que si l’enquête du procureur tarde et que son attestatio­n met du temps à être déposée, les mois de loyer à payer s’accumulent.

Un fardeau supplément­aire s’ajoute si une femme locataire est responsabl­e solidairem­ent, et non conjointem­ent, du bail, car elle devra alors payer la totalité du loyer pour les deux mois prévus à la loi, et non pas seulement sa moitié.

«Il arrive souvent que le conjoint disparaiss­e au même moment et c’est la femme qui doit payer la totalité du loyer», dit Mme Laperrière. « La loi est rédigée de manière à protéger le locateur et c’est le locataire qui assume tout le risque financier. »

Afin de faciliter la vie des femmes, les professeur­es de l’UQO recommande­nt que le nombre de mois de loyer à payer soit strictemen­t limité à deux et que des directrice­s de maison d’hébergemen­t, psychologu­es, etc., puissent faire partie des personnes pouvant attester qu’une femme subit de la violence.

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GETTY IMAGES Pour pouvoir résilier un bail, une locataire doit indiquer à son locateur par qui elle a été violentée ou agressée, de même que préciser le type de violence vécu.

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