Le Devoir

L’économie numérique plombe les revenus des villes québécoise­s

- ÉRIC DESROSIERS

Les revenus fiscaux des villes feront de plus en plus les frais de la dématérial­isation de l’économie et de l’automatisa­tion des usines, rapporte une étude.

La rapide expansion du commerce électroniq­ue a contribué, à elle seule, à faire disparaîtr­e plus de 2000 commerces au Québec en 2016, effaçant du même coup pour 3 milliards en valeur foncière et privant les villes, cette année-là, de quelque 65 millions de revenus en impôt foncier. C’est un peu comme si l’on avait fait disparaîtr­e du jour au lendemain 350 magasins de grande surface Walmart, résume l’étude dévoilée mercredi par l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ) et réalisée par la firme Aviseo Conseil.

Sur les 3 milliards en valeur foncière envolés, les plus grandes pertes ont été essuyées par Montréal (639 millions), suivie par Québec (195 millions), Laval (155 millions) et Gatineau (102 millions). Ces pertes pourraient prendre la forme de fermetures complètes de magasins, mais aussi d’une réduction des superficie­s de vente avec le développem­ent du magasinage en ligne. Au rythme où vont les choses, la perte de revenus fonciers pour les villes québécoise­s pourrait atteindre 150 millions en 2022, pour des pertes cumulées en cinq ans d’un demi-milliard.

Mais le commerce de détail (34% des revenus fonciers en 2016) n’est pas le seul domaine où la croissance économique passe de moins en moins par l’augmentati­on de l’espace physique occupé par les entreprise­s et de la valeur de leur propriété foncière, poursuit l’étude. La multiplica­tion des produits et services créés, livrés et consommés sur des supports numériques creuse de plus en plus le fossé entre la réalité économique et le socle des revenus fiscaux des villes. Ce phénomène, allié aux gains de productivi­té, se traduit, par exemple, dans le secteur des services, par une augmentati­on de la richesse produite deux (industrie de l’informatio­n) à quatre fois plus rapide (finance et assurance) que la croissance des espaces à bureaux.

Le secteur manufactur­ier (6% des revenus fonciers en 2016) semble destiné également à contribuer de moins en moins aux finances des villes. Cela tient bien sûr au recul du poids relatif du secteur dans l’économie avec les délocalisa­tions et la croissance plus rapide de la production et de l’emploi dans le secteur des services, mais pas seulement. Cela viendra, là aussi, de l’adoption de nouvelles technologi­es de numérisati­on et d’automatisa­tion qui permettent de produire plus avec moins d’usines. On y assiste ainsi depuis 10 ans malgré tout à une augmentati­on de la richesse produite de 1,2% par année alors que le nombre d’usines diminue en moyenne de 1,7%.

La pointe de l’iceberg

L’heure est grave parce que ce décalage entre, d’un côté, la réalité de l’économie et des besoins croissants en services prodigués par les villes et, de l’autre, les sources de revenus fiscaux permettant de financer ces mêmes services municipaux ne cessera pas de grandir. «C’est la pointe de l’iceberg, ce qu’on voit actuelleme­nt, a déclaré à La Presse canadienne le maire de Drummondvi­lle et président de l’UMQ, Alexandre Cusson. Nous, ce qu’on dit, c’est qu’il faut se préoccuper de ça avant qu’il y ait un décalage qui soit beaucoup trop grand. »

Le problème est d’autant plus grave que les tendances de fond ne sont guère plus favorables dans le secteur résidentie­l (60% des revenus fonciers en 2016). C’est que la population vieillit rapidement au Québec, rappelle-t-on. Cela aura notamment pour effet de diminuer la formation de nouveaux ménages et des ménages plus petits, amenant les gens à privilégie­r la rénovation plutôt que la constructi­on, et les appartemen­ts ou les maisons

Il n’est pas question, dans pareil contexte, d’augmenter les impôts fonciers de ceux qui en payent toujours

de ville plutôt que les maisons unifamilia­les. On prévoit ainsi une chute de 40% du nombre de mises en chantier les 15 prochaines années.

De l’impasse fiscale à la justice fiscale

Il n’est pas question, dans pareil contexte, d’augmenter les impôts fonciers de ceux qui en payent toujours. Cela ne contribuer­ait qu’à plomber encore plus la compétitiv­ité des commerces et des usines qui ont encore pignon sur rue au Québec. Quant au secteur résidentie­l, il a contribué avec des hausses des impôts et autres taxes municipale­s plus fortes, depuis une dizaine d’années, que celles des revenus disponible­s des ménages.

De toute façon, l’impôt foncier occupe déjà une place disproport­ionnée dans les revenus des municipali­tés québécoise­s, à près de 70%. Cette proportion était déjà de 64% en 2013, contre 48 % en Colombie-Britanniqu­e et 40 % en Ontario et en Alberta.

Alexandre Cusson pense plutôt qu’il «faut s’asseoir avec le gouverneme­nt du Québec» pour renégocier le pacte fiscal que les villes ont conclu avec lui pour 2016 à 2019 et trouver une nouvelle entente qui « va vraiment englober cette réalité-là». L’UMQ en appelle notamment à un mécanisme qui permettrai­t un meilleur partage entre les paliers de gouverneme­nt des fruits de la croissance économique, mais aussi au remboursem­ent de la taxe de vente payée par les municipali­tés ainsi que le paiement complet des taxes foncières des immeubles gouverneme­ntaux.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Sur les 3 milliards en valeur foncière envolés en 2016, les plus grandes pertes ont été essuyées par Montréal (639 millions).

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