Terre de métaphores
Entrevue avec Patrick Bouchard à la veille de la projection de son court métrage
On a rencontré Patrick Bouchard au pavillon de la SODEC. Le cinéaste de Bydlo et de Dehors novembre est le seul représentant du Québec en sélection cannoise avec son court métrage Le sujet à la Quinzaine des Réalisateurs. On est contents de le voir. Il était un peu nerveux à son arrivée. «Je vois à quel point c’est gros, ici», dit-il. Ce festival, il le considère comme un levier extraordinaire. Ceux qui dirigent les rendez-vous du court et de l’animation sont sur place et retiennent des films. Pourquoi pas celui-là ?
Le sujet, oeuvre métaphorique, présente un corps disséqué par un clinicien extirpant des éléments de sa vie jusqu’à trouver le poids qui lui pèse. Il avait déjà été projeté à l’ouverture des Rendez-vous Québec cinéma et pris ensuite l’affiche à la Cinémathèque avant le long métrage Ava.
Patrick Bouchard livre à l’écran un humour grinçant, noir, poétique aussi. Ce film est son plus intime. « À chaque tableau, il fallait que ça passe par mes tripes », explique-t-il. Il travaillait sans scénario, sinon sa base, le fit évoluer en cours de route. «On n’est pas dans l’intellect, mais dans quelque chose de spirituel, de métaphorique, de philosophique. »
Cet univers, patiemment créé image par image avec maints matériaux, souvent récupérés et usés, anxiogène, d’aucuns le trouvent macabre.
«Il y en a que le film déroute. Les gens en ont une approche viscérale. Certains le prennent au premier degré, s’inquiète Patrick Bouchard. Il affichait en entrevue un voeu: le voir projeté en ouverture ou en clôture des courts métrages du jour. «Le sujet peut tomber à plat s’il est mal placé entre deux films rigolos, estime son auteur. Sa position idéale serait au début ou à la fin du programme. »
Voici Patrick Bouchard exaucé. Ce jeudi en après-midi, son court, premier d’un bouquet de cinq à la Quinzaine, pourra diffuser son atmosphère sans casser le rythme d’une oeuvre en dissonance.
Macabre ou pas, ce Sujet voyage. Bientôt au festival d’Annecy ainsi qu’au Brésil à Anima Mundi, en plus d’assurer l’ouverture du rendez-vous montréalais Longue vue sur le court, le 30 mai prochain. La suite de son parcours se déterminera à Cannes, peut-être. À suivre…
Entre la colère et le mystère
J’ai admiré en compétition Burning du Coréen Lee Chang-dong. Le cinéaste de Secret Sunshine et de Poetry, tous deux primés ici, a adapté une nouvelle d’Haruki Murakami distillant la rage et l’inquiétude d’une jeunesse sans repères et sans avenir. Une oeuvre allégorique, lente et mélodieuse. Le type de film ayant besoin de Cannes et des festivals, car le vacarme des oeuvres plus commerciales tue les codes qui permettent au public de les savourer.
Il est difficile de témoigner d’une vacuité existentielle. Par-delà sa lente mise en situation d’une Corée mal en point, Lee Chang-dong impose la vérité impalpable d’un triangle, par petites touches, sur de longs plans superbes. Entre un jeune paysan pauvre et sensible qui se rêve écrivain, une fille en mal d’absolu et un fils à papa pervers narcissique, les liens se tissent avec une finesse et leur poids de symboles qui mènent aux grandes tragédies. Une musique de percussion subtile scande entre les lieux témoins des fossés entre les classes, ce poème d’amour, reflet d’un mal-être qui hante les héros et mène à la purification du feu celui qui possède seul un coeur pour aimer. Burning devrait se hisser haut au palmarès.
Tout écartillé à Los Angeles
Sinon, on s’est tapé en compétition l’interminable Under the Silver Lake de l’Américain David Robert Mitchell. Bourré de prétentions, visiblement accroché au train du Mullholland Drive de David Lynch, échevelé, faussement «songé». Comme quoi les Américains avaient vraiment peu à offrir au chic festival de la Côte d’Azur cette année, pour que cette croûte soit retenue.
Andrew Garfield en gars paumé qui espionne ses voisines et enquête sur des morts et des disparitions mystérieuses s’est fourvoyé dans un Los Angeles issu des fantasmes des cinéastes de la zone. Sous un climat qui se veut halluciné, parmi un roi des sans-abri, d’étranges gourous, un tueur de chiens et des beautés blondes et vides offertes à tout venant (où sont les #MeToo?), le héros suit des pistes ésotériques à la Da Vinci Code dans un surréalisme qui tourne à vide. On regarde sa montre. Ben oui, c’est raté.
«Il y en a que le film déroute. Les gens en ont une approche viscérale. Certains le » prennent au premier degré. Patrick Bouchard