Le Devoir

Les plus vulnérable­s doivent s’armer de patience

- ISABELLE PORTER à Québec

Les personnes ayant un handicap intellectu­el, un problème de santé mentale ou de toxicomani­e doivent attendre en moyenne entre 70 et 122 jours de plus que les autres patients pour se trouver un médecin de famille par le biais du guichet d’accès.

Ces résultats émanent d’une recherche présentée l’an dernier à Montréal par la professeur­e de l’Université de Sherbrooke Mylaine Breton et son équipe. On y apprend aussi que les patients issus des secteurs les plus cossus attendent en moyenne 34 jours de moins que ceux résidant dans les coins plus défavorisé­s. Les gens vivant dans des quartiers dans la moyenne attendent quant à eux 16 jours de moins que ceux des secteurs plus difficiles.

«Santé mentale, toxicomani­e… Ils attendent plus que les autres, surtout si c’est lié à d’autres problèmes physiques, a fait valoir la chercheuse en entrevue. C’est le problème le plus fondamenta­l. »

Interpellé­e à ce sujet, la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) reconnaît l’existence de grands écarts. «Je ne suis pas vraiment surpris des résultats», a expliqué son président, le Dr Louis Godin. « Presque tous les médecins de famille vont être à l’aise de prendre en charge un patient diabétique ou cardiaque, mais avec les patients toxicomane­s, ce n’est pas toujours le cas. »

Quant au décalage entre les secteurs plus défavorisé­s et plus riches, il concède que ça peut jouer, mais moins que les inégalités fondées sur le type de condition, plaide-t-il.

Les médecins auraient besoin d’aide pour prendre en charge certaines clientèles

Jeudi, le ministre Gaétan Barrette avait reproché aux médecins de famille de ne pas contribuer à désengorge­r le guichet d’accès, où on trouve pas moins de 300 000 personnes en attente.

Pour se défendre, la FMOQ avait justement fait valoir que les médecins faisaient face à des problèmes de plus en plus lourds, notamment en santé mentale.

«C’est important qu’ils se sentent à l’aise. Ce serait non éthique qu’ils prennent en charge un patient alors qu’ils ne croient pas avoir les capacités ou les connaissan­ces pour bien s’en occuper », a-t-il ajouté en entrevue au Devoir.

Un phénomène observé également par Mylaine Breton. Pour contrer ces malaises, elle croit qu’il faudrait offrir aux médecins plus de ressources en appui, comme des travailleu­rs sociaux et des psychologu­es.

« Pour les cas complexes, il faudrait voir comment on peut jumeler ces médecins-là à des équipes multidisci­plinaires», avance la chercheuse, dont les recherches en santé communauta­ire sont axées sur les services de santé de première ligne.

À cet égard, on peut s’inspirer selon elle des six provinces canadienne­s qui ont aussi des guichets centralisé­s. «Dans l’une des régions de la Colombie-Britanniqu­e, les cas plus complexes ne sont pas pris en charge immédiatem­ent par un médecin de famille. Ils s’en vont dans une clinique interdisci­plinaire pour être évalués par une infirmière et un travailleu­r social. C’est seulement après qu’ils sont jumelés à un médecin de famille. […] Les incitatifs financiers, ça ne marche pas. Il faut aider à la prise en charge de ces personnes-là. »

Elle propose en outre de donner plus de place aux infirmière­s praticienn­es spécialisé­es (IPS) pour qu’elles puissent s’inscrire directemen­t au guichet sans passer par un médecin partenaire. «Sur les sept provinces canadienne­s à avoir des guichets d’accès, on est les seuls au Québec qui ne permettent pas aux IPS de s’inscrire directemen­t au guichet. Est-ce qu’on pourrait penser que, à l’avenir, des infirmière­s praticienn­es s’inscrivent des patients jugés en santé par le biais des guichets d’accès pour faire un certain volume?»

Une suggestion faisant écho à des propos tenus par la porte-parole péquiste en santé jeudi à l’Assemblée nationale. « Il faut geler la rémunérati­on. Trouver une façon pour que les médecins offrent plus d’heures et offrent des services au bon moment. […] Les médecins ne fournissen­t plus à la tâche. Il faut permettre à d’autres profession­nels de contribuer à la santé des gens, à l’accès aux soins », déclarait Diane Lamarre en suggérant qu’on donne plus de place aux IPS.

Sur ce point précis, la FMOQ concède que cela pourrait changer la donne. «C’est le type de clientèle avec laquelle le médecin a le plus besoin de l’aide d’autres profession­nels, croit M. Godin. Ces patients-là vont être plus faciles à prendre en charge avec une clinique multidisci­plinaire.»

À l’heure actuelle, certains groupes de médecine familiale ont des travailleu­rs sociaux au sein de leur équipe. Les autres médecins doivent quant à eux solliciter les CLSC. Or «ce n’est pas toujours facile d’avoir cette aide-là», déplore le président de la FMOQ.

Ce dernier se montre par contre sceptique quant à une inscriptio­n directe des IPS au guichet d’accès. « Nous, on pense que le travail des IPS, ça doit se faire avec les médecins dans des milieux cliniques où les deux travaillen­t. Il faudrait surtout éviter de développer ces systèmes-là en silo. »

Magasinage de médecins ?

Jeudi, les médecins de famille ont également dû se défendre de faire du magasinage de patients à la suite d’un rapport dévastateu­r de la protectric­e du citoyen. Dans le document rendu public lundi, on avance que le guichet d’accès de Montréal est ralenti par le désir de certains médecins de choisir leurs patients en fonction de l’âge, de la problémati­que de santé et de l’ethnie.

Questionné sur ce dernier point, M. Godin a dit avoir davantage entendu parler de patients qui magasinent leur médecin que le contraire. «Les échos que j’ai de la part des coordonnat­eurs de guichets d’accès, c’est beaucoup plus le contraire. J’entends beaucoup dire que les patients ne veulent pas aller voir tel ou tel médecin parce qu’il a un nom à consonance étrangère. » Il ajoute que s’il y a des cas de médecins refusant de traiter des gens sur la base de leur ethnie, c’est « anecdotiqu­e ».

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