Les plus vulnérables doivent s’armer de patience
Les personnes ayant un handicap intellectuel, un problème de santé mentale ou de toxicomanie doivent attendre en moyenne entre 70 et 122 jours de plus que les autres patients pour se trouver un médecin de famille par le biais du guichet d’accès.
Ces résultats émanent d’une recherche présentée l’an dernier à Montréal par la professeure de l’Université de Sherbrooke Mylaine Breton et son équipe. On y apprend aussi que les patients issus des secteurs les plus cossus attendent en moyenne 34 jours de moins que ceux résidant dans les coins plus défavorisés. Les gens vivant dans des quartiers dans la moyenne attendent quant à eux 16 jours de moins que ceux des secteurs plus difficiles.
«Santé mentale, toxicomanie… Ils attendent plus que les autres, surtout si c’est lié à d’autres problèmes physiques, a fait valoir la chercheuse en entrevue. C’est le problème le plus fondamental. »
Interpellée à ce sujet, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) reconnaît l’existence de grands écarts. «Je ne suis pas vraiment surpris des résultats», a expliqué son président, le Dr Louis Godin. « Presque tous les médecins de famille vont être à l’aise de prendre en charge un patient diabétique ou cardiaque, mais avec les patients toxicomanes, ce n’est pas toujours le cas. »
Quant au décalage entre les secteurs plus défavorisés et plus riches, il concède que ça peut jouer, mais moins que les inégalités fondées sur le type de condition, plaide-t-il.
Les médecins auraient besoin d’aide pour prendre en charge certaines clientèles
Jeudi, le ministre Gaétan Barrette avait reproché aux médecins de famille de ne pas contribuer à désengorger le guichet d’accès, où on trouve pas moins de 300 000 personnes en attente.
Pour se défendre, la FMOQ avait justement fait valoir que les médecins faisaient face à des problèmes de plus en plus lourds, notamment en santé mentale.
«C’est important qu’ils se sentent à l’aise. Ce serait non éthique qu’ils prennent en charge un patient alors qu’ils ne croient pas avoir les capacités ou les connaissances pour bien s’en occuper », a-t-il ajouté en entrevue au Devoir.
Un phénomène observé également par Mylaine Breton. Pour contrer ces malaises, elle croit qu’il faudrait offrir aux médecins plus de ressources en appui, comme des travailleurs sociaux et des psychologues.
« Pour les cas complexes, il faudrait voir comment on peut jumeler ces médecins-là à des équipes multidisciplinaires», avance la chercheuse, dont les recherches en santé communautaire sont axées sur les services de santé de première ligne.
À cet égard, on peut s’inspirer selon elle des six provinces canadiennes qui ont aussi des guichets centralisés. «Dans l’une des régions de la Colombie-Britannique, les cas plus complexes ne sont pas pris en charge immédiatement par un médecin de famille. Ils s’en vont dans une clinique interdisciplinaire pour être évalués par une infirmière et un travailleur social. C’est seulement après qu’ils sont jumelés à un médecin de famille. […] Les incitatifs financiers, ça ne marche pas. Il faut aider à la prise en charge de ces personnes-là. »
Elle propose en outre de donner plus de place aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS) pour qu’elles puissent s’inscrire directement au guichet sans passer par un médecin partenaire. «Sur les sept provinces canadiennes à avoir des guichets d’accès, on est les seuls au Québec qui ne permettent pas aux IPS de s’inscrire directement au guichet. Est-ce qu’on pourrait penser que, à l’avenir, des infirmières praticiennes s’inscrivent des patients jugés en santé par le biais des guichets d’accès pour faire un certain volume?»
Une suggestion faisant écho à des propos tenus par la porte-parole péquiste en santé jeudi à l’Assemblée nationale. « Il faut geler la rémunération. Trouver une façon pour que les médecins offrent plus d’heures et offrent des services au bon moment. […] Les médecins ne fournissent plus à la tâche. Il faut permettre à d’autres professionnels de contribuer à la santé des gens, à l’accès aux soins », déclarait Diane Lamarre en suggérant qu’on donne plus de place aux IPS.
Sur ce point précis, la FMOQ concède que cela pourrait changer la donne. «C’est le type de clientèle avec laquelle le médecin a le plus besoin de l’aide d’autres professionnels, croit M. Godin. Ces patients-là vont être plus faciles à prendre en charge avec une clinique multidisciplinaire.»
À l’heure actuelle, certains groupes de médecine familiale ont des travailleurs sociaux au sein de leur équipe. Les autres médecins doivent quant à eux solliciter les CLSC. Or «ce n’est pas toujours facile d’avoir cette aide-là», déplore le président de la FMOQ.
Ce dernier se montre par contre sceptique quant à une inscription directe des IPS au guichet d’accès. « Nous, on pense que le travail des IPS, ça doit se faire avec les médecins dans des milieux cliniques où les deux travaillent. Il faudrait surtout éviter de développer ces systèmes-là en silo. »
Magasinage de médecins ?
Jeudi, les médecins de famille ont également dû se défendre de faire du magasinage de patients à la suite d’un rapport dévastateur de la protectrice du citoyen. Dans le document rendu public lundi, on avance que le guichet d’accès de Montréal est ralenti par le désir de certains médecins de choisir leurs patients en fonction de l’âge, de la problématique de santé et de l’ethnie.
Questionné sur ce dernier point, M. Godin a dit avoir davantage entendu parler de patients qui magasinent leur médecin que le contraire. «Les échos que j’ai de la part des coordonnateurs de guichets d’accès, c’est beaucoup plus le contraire. J’entends beaucoup dire que les patients ne veulent pas aller voir tel ou tel médecin parce qu’il a un nom à consonance étrangère. » Il ajoute que s’il y a des cas de médecins refusant de traiter des gens sur la base de leur ethnie, c’est « anecdotique ».