Le Devoir

Sur les traces d’Alexandra David-Néel

Christian Garcin et Éric Faye refont dans le Tibet d’aujourd’hui le voyage de l’orientalis­te française en 1924

- CHRISTIAN DESMEULES COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Dans les pas d’Alexandra David-Néel Du Tibet au Yunnan ★★★

Éric Faye et Christian Garcin, Stock, Paris, 2018, 320 pages C’est devenu depuis longtemps le sort des voyageurs modernes: l’impression d’arriver trop tard. Que l’on soit motivé par la nostalgie ou par des fantasmes de découverte, le monde semble avoir été décrit cent fois, cartograph­ié, trahi, piétiné.

C’est avec des étoiles dans les yeux, mais sans trop d’illusions, qu’Éric Faye et Christian Garcin, deux romanciers et essayistes plutôt prolifique­s, ont mis leurs pas dans ceux de la mythique voyageuse et orientalis­te française Alexandra David-Néel (1868-1969), la toute première Européenne à avoir mis les pieds à Lhassa, « Rome du lamaïsme » et capitale du Tibet.

En 1924, après avoir traversé à pied sur presque 2000kilomè­tres le Tibet déguisée en mendiante, Alexandra David-Néel était restée deux mois à Lhassa complèteme­nt incognito en compagnie du jeune lama Aphur Yongden, qui deviendra son fils adoptif en 1929. Un exploit qui recouvre un intérêt sans fin pour les cultures et les mystères de l’Asie centrale.

«Le Tibet actuel est en théorie accessible à tous, mais d’une accessibil­ité trompeuse.» En 2015 et en 2017, passant des cols de 5000mètres en 4x4, avec guide et chauffeur (nous sommes en Chine, ne l’oublions pas), multiplian­t les voyages en train au coeur de la Chine, les rencontres et les hôtels miteux, ils ont essayé de voir autant que d’imaginer ce qu’a pu voir l’aventurièr­e au cours de ses multiples voyages dans la région.

Pour les deux Français, qui relatent un peu sagement leur expérience au moyen d’un curieux «Je» indistinct, faire coïncider leur voyage avec la chronologi­e de celui d’Alexandra David-Néel importait peu. «Ce qui comptait, c’étaient les traces, réelles ou fantasmées, c’étaient nos pieds dans ses empreintes, c’étaient nos yeux qui verraient à nouveau les mêmes lieux, les mêmes couleurs, les mêmes reliefs, les mêmes bâtiments qu’elle… »

Mais depuis la publicatio­n de son Voyage d’une Parisienne à Lhassa en 1927, le Tibet, «dont la densité de population est proche de rien», avait changé de façon considérab­le. La Chine elle aussi se métamorpho­se, avance et assimile.

«Peut-on imaginer que Lhassa devienne un jour une ville “comme les autres” à force d’être desservie par les trains à grande vitesse et des vols low cost ? » On le peut, nous disent-ils, avant de prendre la mesure, ici et là, de l’inéluctabl­e.

Et pour Faye et Garcin, qui avaient déjà écrit et voyagé ensemble (En descendant les fleuves. Carnets de l’Extrême-Orient russe, Stock, 2011), seule l’irréductib­le dévotion religieuse des Tibétains semble préserver le territoire d’être à jamais aplati par le rouleau compresseu­r chinois.

Malgré tout, le voyage en vaut-il la peine ? « On n’en revient pas indemne, si tant est que l’on en revienne », nous révèle l’un d’entre eux. Tout comme cette «femme aux semelles de vent» qui n’en était jamais vraiment revenue.

 ?? AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Alexandra David-Néel à son 100e anniversai­re en 1968. Elle arriva au Tibet en 1924, alors qu’aucun Occidental n’y avait pénétré depuis 1848.
AGENCE FRANCE-PRESSE Alexandra David-Néel à son 100e anniversai­re en 1968. Elle arriva au Tibet en 1924, alors qu’aucun Occidental n’y avait pénétré depuis 1848.
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