Le Devoir

La mondialisa­tion sera plus forte que Trump

Le président américain est incapable de fonctionne­r dans un système multilatér­al, explique Pascal Lamy, ex-patron de l’OMC

- ÉRIC DESROSIERS

Donald Trump ne comprend rien au commerce internatio­nal et tente, consciemme­nt ou non, de casser l’interdépen­dance économique qui s’est établie entre les pays, estime l’ancien directeur général de l’OMC Pascal Lamy. Mais la réalité sera plus forte que le président américain et en viendra à bout.

Rarement a-t-on autant parlé de commerce internatio­nal qu’en cette ère de présidence américaine de Donald Trump, a observé en entrevue au Devoir l’ancien grand patron de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) en marge de la Conférence de Montréal, qui se tient dans la métropole jusqu’à jeudi. « Ces histoires étaient réputées très ennuyeuses et réservées aux spécialist­es. C’est devenu un sujet grand public parce que c’est un spectacle permanent. »

L’annonce, le weekend dernier, de l’atteinte d’un consensus au sommet du G7 à La Malbaie, tout de suite renié par le président américain au milieu d’un déluge d’insultes contre son hôte, Justin Trudeau, n’a pas surpris Pascal Lamy. « C’est la démonstrat­ion que cet homme n’est capable de fonctionne­r que dans un mode bilatéral. Dès qu’on est plus, ça devient tout de suite trop compliqué pour lui. Et puis, lorsqu’on discute en multilatér­al, le seul moyen de rester la vedette est de faire un clash. En bilatéral, Trump peut avoir le rôle principal et se présenter comme le plus grand, le plus beau, le plus fort… Ce

[...] s’il y a un pays qui a contribué à la globalisat­ion du monde et qui en a profité, ce sont bien les États-Unis PASCAL LAMY

sont les méthodes de la téléréalit­é appliquées à la politique internatio­nale. »

À l’évidence, le président ne comprend rien à la réalité du commerce internatio­nal au XXI siècle. « Trump est profondéme­nt convaincu que la mondialisa­tion a permis au reste du monde de profiter de l’Amérique. Cela n’a aucun sens sur le plan économique et c’est d’autant plus absurde que s’il y a un pays qui a contribué à la globalisat­ion du monde et qui en a profité économique­ment, ce sont bien les ÉtatsUnis. » Cette vision, dit Pascal Lamy, lui vient de son passé de promoteur immobilier, «qui consiste essentiell­ement à acheter pour pas cher et revendre cher. Dans son monde, s’il y a un déficit commercial, c’est qu’on se fait voler par les autres ».

La réalité contre Trump

Avec son protection­nisme et son travail de sape des accords commerciau­x, dit-il, le président américain tente, consciemme­nt ou non, de casser les chaînes de valeurs qui font fi désormais des frontières, de même que casser les institutio­ns responsabl­es de leur bon fonctionne­ment. « Mais je pense que le système va résister. […] Nous sommes arrivés à un stade, en matière d’interdépen­dance des processus de production de biens et de services, qui rend probableme­nt la démondiali­sation trop coûteuse pour qu’elle se produise.»

Cette résistance au travail de démolition de Donald Trump de l’économie mondialisé­e viendra d’abord des entreprise­s et des travailleu­rs concernés qui sauront ensuite se faire entendre par leurs élus politiques, prédit Pascal Lamy. Cela pourrait d’ailleurs bientôt se produire dans le secteur de l’auto, dont la production est fortement intégrée entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. « Trump utilise actuelleme­nt l’argument de la sécurité nationale pour court-circuiter le Congrès, mais cela ne pourra pas durer éternellem­ent. Il s’apprête à imposer des tarifs dans l’automobile, alors que l’industrie américaine n’en veut pas. Or, cette industrie dispose quand même d’une certaine influence au Congrès. »

Si les États-Unis continuent de tourner le dos à la réalité économique, les autres pays poursuivro­nt simplement leur chemin sans eux. Pascal Lamy en veut pour exemple ce projet de traité commercial du Partenaria­t transpacif­ique qui, à l’initiative du Japon, est finalement allé de l’avant à onze plutôt qu’à douze après que le président Trump eut claqué la porte. « Ce que les Japonais ont fait, avec le PTP à onze, c’est contourner Trump.» Le départ des États-Unis n’est pas parvenu non plus à faire capoter l’Accord de Paris sur les changement­s climatique­s. « La Californie y est même restée. »

Critiques justifiées

Pascal Lamy ne nie pas que la mondialisa­tion peut être « douloureus­e » pour une partie de la population. « C’est particuliè­rement le cas dans les pays où les systèmes sociaux sont plus faibles, comme aux États-Unis. » En fait, « les vertus comme les défauts qu’on prête à la mondialisa­tion sont ceux qu’on attribue au capitalism­e ».

Le patron de l’OMC de 2005 à 2013 admet aussi que toutes les plaintes qu’on entend contre la Chine ne sont pas infondées. « Contrairem­ent à ce que l’on entend dire, les Chinois ne trichent pas à l’OMC. Le problème est que les règles n’y sont plus adaptées à leur réalité. » Pascal Lamy pense notamment à « l’État et ses subvention­s qui occupent encore une place immense dans le modèle d’affaires chinois. C’est une caractéris­tique qui doit cesser. On ne peut pas ne pas discipline­r le recours aux subvention­s publiques ».

Mais cela doit, selon lui, impérative­ment se faire dans un forum multilatér­al comme l’OMC. « Le risque, pour le reste du monde, est que les Américains et les Chinois se mettent d’accord dans une espèce de troc mercantili­ste et que la Chine échappe ainsi à une contrainte qui viendrait du système. »

Pour le reste, Pascal Lamy ne craint pas outre mesure que Donald Trump fasse école. « Je n’en vois pas de signe. Pour qu’il fasse des émules, encore faut-il qu’il réussisse. Et on n’en est pas encore là. »

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