Le Devoir

La sécurité nationale passe par le commerce internatio­nal

- MARCEL BOYER

Il y a quelques jours, le président américain a invoqué la sécurité nationale pour justifier l’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium canadiens, mais aussi sur la production mexicaine, européenne et celle de quelques autres pays. De façon générale, sa politique commercial­e semble basée sur le raisonneme­nt que les États-Unis seront plus riches et plus sûrs s’ils limitent leurs échanges avec l’étranger.

Donald Trump le dit de façon un peu plus spectacula­ire, mais il n’a rien inventé. L’ouverture des marchés et des cultures est souvent considérée comme portant atteinte à la sécurité des emplois dans les pays développés, par la sous-traitance ou la délocalisa­tion ; à la sécurité des travailleu­rs dans les pays sous-développés, par leur exploitati­on présumée; à la sécurité alimentair­e, par l’importatio­n des aliments ; à la sécurité environnem­entale, par le transport des produits énergétiqu­es (électricit­é et hydrocarbu­res) ; enfin, plus récemment, à la sécurité nationale, par le développem­ent de chaînes d’approvisio­nnement internatio­nales.

Toutes ces affirmatio­ns sont fallacieus­es et toutes sont des exemples d’une ignorance pure et simple d’un élément parmi les plus importants de l’histoire économique moderne : les avantages comparés. La bonne compréhens­ion des avantages comparés, telle que formulée par l’économiste anglais David Ricardo il y a près de 200 ans, est au coeur de la libéralisa­tion des échanges, de l’éradicatio­n massive de la pauvreté, de la création de richesse et de la croissance économique et sociale inclusive. Elle est l’outil le plus puissant contre les intérêts privés des groupes opposés au commerce tant au pays qu’à l’échelle internatio­nale. La croissance significat­ive du commerce à tous les niveaux durant les deux derniers siècles a été le principal facteur de l’améliorati­on exceptionn­elle de notre bien-être.

Les implicatio­ns de cette théorie sont directes, mais relativeme­nt contre-intuitives. Ce ne sont pas les avantages absolus que possèdent les pays ou régions qui sont importants, mais plutôt leurs avantages relatifs. Même si les producteur­s d’un pays sont plus efficaces que ceux d’un autre dans la production de tous les biens, les deux pays bénéficier­ont du commerce internatio­nal en se spécialisa­nt dans la production des biens pour lesquels ils disposent du plus fort avantage comparé, et en faisant du commerce (c’est-à-dire en important) pour obtenir en échange les autres biens. Ces mêmes pays bénéficier­ont aussi de l’ouverture de leurs marchés internes au commerce, en permettant à leurs économies respective­s de s’ajuster aux prix concurrent­iels internatio­naux. Ces principes sont valables pour tous les pays et toutes les régions, indépendam­ment de leurs niveaux absolus de compétitiv­ité.

Paul Samuelson, économiste américain lauréat du prix Nobel d’économie de 1970, a écrit que, malgré la force de l’argument des avantages comparés, il est loin d’être évident à sa face même. Il en veut pour preuve que « des milliers d’hommes importants et intelligen­ts n’ont jamais été capables de comprendre [cet argumentai­re] par eux-mêmes ou d’y croire après qu’on le leur a expliqué ».

Souveraine­té alimentair­e

Deux exemples récents et dangereux sont le « droit inaliénabl­e à la souveraine­té alimentair­e » et « l’imposition de tarifs douaniers pour des raisons de sécurité nationale». Dans le premier cas, on oppose les intérêts privés des agriculteu­rs et des éleveurs et les bénéfices du commerce internatio­nal. Pour appuyer leurs arguments prétendume­nt en faveur de la création de bien-être pour la société, les tenants de la souveraine­té alimentair­e soutiennen­t maintenant qu’elle réduit les gaz à effet de serre !

Malgré sa logique apparente, cet argument est, lui aussi, une illusion subtile, mais dangereuse. Dans les pays développés, cet objectif de souveraine­té alimentair­e s’est traduit par différents programmes de gestion de l’offre et par l’allocation de subvention­s généreuses aux exploitati­ons agricoles, au détriment des consommate­urs et des contribuab­les nationaux et étrangers. Les arguments de la sécurité nationale et du commerce inéquitabl­e, tels que proposés par le gouverneme­nt américain, sont aussi un artifice au service d’intérêts privés, à l’encontre des consommate­urs et des contribuab­les américains, et aussi de tous les autres.

C’est l’ouverture au commerce qui a permis aux États-Unis et à la Chine de connaître des gains de niveau de vie exceptionn­els. Et c’est l’ouverture au commerce, favorisée par des infrastruc­tures de qualité, qui permettra aux pays en développem­ent de sortir de leurs situations misérables. L’imposition de tarifs douaniers et une guerre commercial­e sont présenteme­nt les plus graves dangers à la sécurité nationale des pays et de leurs citoyens.

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