La course quotidienne
Les bouchons grossissent; la patience des électeurs de Prévost s’étiole
En prévision des élections québécoises, Le Devoir a amorcé une tournée qui le mènera aux quatre coins du Québec. Compte-rendu du premier D Tour électoral, dans Prévost, où plus de 9 personnes sur 10 conduisent pour se rendre au boulot. Pays-d’en-Haut, 4 h 30 du matin. Le réveil-matin sonne. Patrick, qui a élu domicile à Saint-Sauveur, se lance aussitôt dans une nouvelle course contre la montre.
En moins de deux, le travailleur de la construction dévale l’autoroute 15 (A15), gagnant de vitesse des milliers d’habitants des Basses-Laurentides, qui, comme lui, ont le malheur de travailler au sud. Des bouchons de circulation prennent forme dans son rétroviseur.
« De plus en plus, ça commence à ralentir à la 50. Il y a toute la gang de la construction qui arrive de Lachute », relate-t-il dans un échange avec Le Devoir, au pied du versant Avila. Tous les mardis, il y rejoint des amis pour faire quelques descentes de vélo de montagne. « Dans pas long, je vais être pogné dans le trafic, à l’heure que je pars », ajoute-t-il.
À moins de trois mois du scrutin provincial, la mobilité se profile comme l’un des principaux enjeux de la campagne électorale dans la (nouvelle) circonscription de Prévost. Pour cause, elle abrite la plus forte proportion de personnes qui conduisent leur automobile pour se rendre au boulot (91,2 %, contre 74,6 % dans l’ensemble du Québec).
« J’arrive chez mon frère, à Saint-Eustache, à 5 h 15. On part ensemble à SaintLaurent. On arrive aux alentours de 6 h 15. On commence à travailler à 6 h 30. On finit de travailler à 3 h. Je suis rendu ici à 4 h 30 », relate Patrick, assis, boisson à la main, à une de table de pique-nique posée au milieu du stationnement de gravier du parc de vélo. Cela dit, il suffit d’un accrochage sur le réseau routier pour tout chambouler, convient-il devant ses amis. « Aujourd’hui, il y avait un accident. Je suis parti à 3 h 30 [de l’aprèsmidi, de Montréal] et je suis arrivé ici à 5 h 45 », dit-il, avant de pousser un soupir de résignation.
Le paysage des Basses-Laurentides s’est métamorphosé au fil des dernières années. Des constructions ont poussé comme de la mauvaise herbe en bordure de l’A15. « C’était la campagne. Maintenant, il y a des maisons cordées », lance Guillaume, un ami de Patrick. Plus nombreuses, les autos mettent inévitablement plus de temps pour avaler les quelque 50 kilomètres d’asphalte séparant la Porte-du-Nord de l’île de Montréal. Aussi long en transport collectif ? Dans Prévost, seul 1,6 % de la population emploie le transport en commun pour aller au boulot. C’est nettement au-dessous de la moyenne québécoise (13,7 %).
« Aujourd’hui, tu descends en autobus, tu es bloqué pareil », déplore le préfet de la MRC des Pays-d’en-Haut, André Genest. En plus d’autoriser les autobus à circuler à bonne allure sur l’accotement de l’A15, il appelle le gouvernement québécois à prolonger, une fois pour toutes l’A13, de l’A640 à l’A50. La pression automobile exercée sur l’A15 s’en trouverait relâchée à coup sûr.
Par ailleurs, l’ex-maire demande à Québec de «favoriser» le covoiturage. À peine 3,7 % de la population fait la route jusqu’à son lieu de travail du côté passager.
Qu’en est-il du train de banlieue Saint-Jérôme–Montréal, qui permet de gagner le centre-ville de Montréal en plus de 90 minutes. « C’est long longtemps », soupire M. Genest, tout en déplorant la fréquence des départs et des arrivées. « Il faut que tu sois capable de revenir à toutes sortes d’heures. Le train ne le permet pas. »
« D’ailleurs, on a tous besoin d’une auto… même pour aller prendre l’autobus », affirme sans détour la mairesse de Piedmont, Nathalie Rochon. Après avoir été élue sans opposition l’automne dernier, elle s’est rapidement mise à la tâche d’accroître la mobilité des Piedmontais, dont ceux qui travaillent et étudient plus au sud. L’établissement de jeunes familles dans les Paysd’en-Haut en dépend, fait-elle valoir. « On a une population de plus en plus vieillissante dans [la MRC des] Paysd’en-Haut, spécialement dans Piedmont et Saint-Sauveur. On a beaucoup de personnes retraitées qui s’y installent, mais des jeunes familles, on en a moins, notamment à cause du travail. Dès qu’il y a des professionnels, il faut qu’ils travaillent au sud. Donc, ils sont pris dans le trafic. Le défi, c’est de les retenir malgré cela », explique la chimiste de formation, catapultée à la mairie de Piedmont sur la promesse d’y préserver la qualité de vie de ses 3000 habitants.
La mairesse sollicite l’«appui financier » de Québec et d’Ottawa pour des projets de transport collectif : une navette entre Tremblant et la station de métro Cartier, à Laval, qui emprunterait l’accotement de l’autoroute 15, par exemple. Elle n’aurait reçu que des « bâtons dans les roues». «Parlez de mobilité durable, OK, mais la solution, ici, n’est peut-être pas la même qu’à Montréal ou à Laval », soutient-elle. De « bons emplois » aussi Les élus des Laurentides s’affairent aussi à diversifier l’économie du coin. « Le tourisme, ce n’est pas très payant », souligne Nathalie Rochon, en quête de « bons emplois » semblables à ceux offerts dans le studio d’effets visuels Hybride. L’entreprise, une fierté locale, a créé des effets spéciaux pour plusieurs mégaproductions cinématographiques, dont les derniers titres de Star Wars.
Il faut faire « travailler notre monde, ici », poursuit André Genest. D’autre part, le préfet fonde beaucoup d’espoir sur le travail à domicile, qui permet, « si tu développes Internet haute vitesse comme du monde — pas du niaisage — [de ne pas] te déplacer autant ». L’État québécois doit, selon lui, donner l’exemple, tout en s’implantant de nouveau dans les Laurentides. « Tout est centralisé à Montréal. Arrêtons d’être stupides ! »