Il n’y a pas de crise, réitère Ottawa
La relâche estivale a été interrompue à Ottawa pour débattre du dossier des migrants. Mais au terme de six heures de rencontre parlementaire, libéraux et partis d’opposition n’avaient offert rien de plus que leurs récriminations respectives des derniers mois. Le gouvernement Trudeau n’avait rien de neuf à annoncer sur la situation à la frontière. Son plan de triage pour soulager le Québec est toujours en veilleuse.
Les libéraux avaient promis, miavril, de rediriger les migrants qui arrivent en quasi-totalité au Québec vers des villes ontariennes où ils songent à s’installer. Or, trois mois plus tard, le fédéral n’a toujours rien annoncé. Le coupable, plaide-t-il: le nouveau gouvernement conservateur de Doug Ford en Ontario, qui refuse de collaborer en reprochant au fédéral d’être responsable de l’afflux d’arrivées irrégulières à la frontière. Sa ministre de l’Immigration, Lisa MacLeod, a même réclamé un chèque de 200 millions à Ottawa mardi pour éponger la facture.
Le projet du gouvernement de Justin Trudeau est donc dans les limbes. « Nous avons besoin que l’Ontario s’asseye avec nous à la table, afin de finaliser nos plans », a argué le ministre de l’Immigration, Ahmed Hussen, en se disant néanmoins toujours « optimiste » à l’issue de la rencontre du comité parlementaire de l’immigration.
Quelques heures plus tôt, son collègue de la Sécurité publique, Ralph Goodale, avait défendu la réponse de son gouvernement à l’arrivée nombreuse de migrants, en martelant qu’il n’existe pas de solution miracle. Conservateurs et néodémocrates ont
passé le reste la journée à reprocher aux libéraux de ne s’être même pas donné la peine d’essayer.
« Il y a un défi. Mais ce n’est pas une crise », a insisté le ministre Goodale. « La migration irrégulière est un enjeu que doivent gérer les pays partout dans le monde. On ne devrait pas s’étonner que cela concerne aussi le Canada et on ne devrait pas penser qu’il y a une solution facile à ce problème mondial complexe. »
Le mois dernier, la GRC a intercepté 1263 entrées irrégulières au pays (dont 1179 au Québec). Il s’agit du chiffre mensuel le plus bas depuis juin 2017 — moitié moins qu’au mois d’avril.
« La tendance est à la baisse », s’est félicité le ministre Hussen, déplorant que les conservateurs exploitent néanmoins selon lui la peur et la division en parlant d’une « crise ».
La conservatrice Michelle Rempel a plutôt accusé les libéraux de tenir ce discours pour « tenter de faire taire les critiques de leur approche ratée sur cet enjeu. Les Canadiens ont le droit de comprendre comment M. Trudeau assurera l’intégration à long terme de l’arrivée de migrants illégaux ».
Mise en garde
Le représentant au Canada du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés, Jean-Nicolas Beuze, n’a pas apprécié le discours « dangereux » des conservateurs. « Il faut faire attention à ces discours populistes qui cherchent à gagner des votes à court terme, en qualifiant une situation qui est bien gérée à l’heure actuelle de “crise”. Il n’y a pas de crise de réfugiés au Canada quand les nombres sont si faibles et que les choses sont bien gérées. »
La rencontre parlementaire a d’ailleurs par moments cédé la place à un débat sur l’utilisation de l’expression « migrants illégaux». Libéraux et néodémocrates ont martelé qu’en vertu de la loi, ces réfugiés ont le droit de réclamer l’asile s’ils sont entrés au pays en évitant un poste frontalier officiel — ce que permet l’entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis. Les conservateurs et la ministre ontarienne Lisa MacLeod ont refusé de s’adonner à un « débat sémantique ».
Quant aux solutions à l’arrivée de migrants, chaque parti politique est revenu à la charge avec ses demandes des derniers mois.
Le jour de la marmotte
Les conservateurs ont à nouveau sommé Ottawa d’appliquer l’entente sur les tiers pays sûrs à toute la frontière. Ce qui empêcherait les migrants d’éviter les postes frontaliers pour réclamer l’asile au Canada.
Impossible, a rétorqué le ministre Goodale. Il faudrait patrouiller le long des 9000 km de frontière, embaucher des milliers d’agents frontaliers, et que les États-Unis fassent de même si le Canada veut pouvoir y renvoyer les migrants illégitimes. Le ministre a toutefois reconnu ne pas avoir évoqué l’idée avec les Américains. « Ils agissent en se basant sur des hypothèses, quand ils n’ont même pas abordé la question. C’est irresponsable», a reproché Michelle Rempel.
La néodémocrate Jenny Kwan a réclamé que l’entente avec les Américains soit suspendue. Celle-ci permet à un réfugié de demander l’asile au Canada seulement s’il évite un poste frontalier, s’il a transité d’abord par les États-Unis — un pays jugé sécuritaire. Ce n’est plus le cas sous Donald Trump, a martelé Mme Kwan.
Le fédéral rétorque qu’un plus grand nombre de migrants se dirigeraient vers le Canada s’il leur était garanti qu’ils pourraient y réclamer l’asile sans condition.
Bill Blair malmené
Le nouveau ministre de la Sécurité frontalière, Bill Blair, a quant à lui été particulièrement cuisiné par les conservateurs, qui l’ont interrompu sans relâche lors de cette première activité parlementaire. M. Blair a dû défendre son rôle de ministre, lui qui ne sera pas directement à la tête des agences responsables de la frontière ou des demandes d’asile.
« Le fait qu’aucune des agences pertinentes ne relève de vous porte à croire que votre nomination était davantage un énoncé politique qu’une décision menée pour des raisons pratiques », lui a lancé le conservateur Pierre Poilievre.