Le Devoir

Le chef Bellegarde a été réélu

Ses adversaire­s lui reprochaie­nt une trop grande proximité avec le gouverneme­nt de Justin Trudeau

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA LE DEVOIR

La grogne de certains chefs de l’Assemblée nationale des Premières Nations n’aura pas eu raison de son chef national sortant. Perry Bellegarde a beau avoir été accusé par ses quatre rivaux électoraux d’être trop conciliant avec Ottawa, il a malgré tout été réélu par les chefs des communauté­s qui étaient réunis en assemblée générale à Vancouver.

Au terme de deux tours de scrutin, Perry Bellegarde s’est vu confier un second mandat au poste de chef national de l’APN mercredi en récoltant 63 % des voix.

«Nous avons du travail à faire ensemble», a lancé Perry Bellegarde, à la suite de sa victoire. «Une seule personne ne peut rien faire toute seule. Nous avons besoin de votre force », at-il lancé aux chefs réunis en promettant d’oeuvrer pour améliorer le logement, l’éducation, les soins de santé des communauté­s et de retourner aux Premières Nations leurs terres et les ressources qui s’y trouvent. « Nous allons faire en sorte que tout cela revienne là où il se doit. »

Des 635 communauté­s représenté­es par l’Assemblée des Premières Nations, 538 avaient dépêché leur chef ou un représenta­nt pour prendre part à l’élection. Il a fallu deux tours de scrutin pour qu’un des cinq candidats récolte au-delà des 60 % des voix nécessaire­s pour remporter la victoire. Perry Bellegarde, de la Saskatchew­an, avait reçu 53 % des appuis au premier tour.

Mais sa victoire n’est pas survenue sans heurt. Élu il y a trois ans pour succéder à Shawn Atleo, qui avait été forcé de démissionn­er devant les critiques de son leadership, M. Bellegarde était à son tour accusé d’être trop proche du gouverneme­nt fédéral de Justin Trudeau.

« Nous avons besoin d’un chef national qui peut s’asseoir à la table avec les libéraux sans devenir un des leurs », affirmait mardi la candidate Sheila North, chef d’un rassemblem­ent de 30 Premières Nations du Manitoba. Elle est arrivée deuxième à l’issue du vote mercredi.

Sheila North et les autres candidats avaient dépeint l’élection comme celle d’un choix entre l’immutabili­té de la relation avec le fédéral et une

revendicat­ion plus assumée et sans compromis des droits autochtone­s.

« Vous avez un choix critique à faire sur l’avenir de nos peuples autochtone­s dans ce pays. Le choix entre le statu quo et le statut de nation », avait plaidé Miles Richardson, de la Colombie-Britanniqu­e.

Le candidat Russell Diabo, de Kahnawake, avait pour sa part dénoncé, comme plusieurs membres de communauté­s, la volonté d’Ottawa de déposer cet automne un projet de loi qui enchâssera les droits ancestraux autochtone­s dans la loi fédérale afin de leur proposer un cadre légal vers l’autodéterm­ination. « Ils font tout ça sans notre participat­ion et sans notre consenteme­nt. »

Perry Bellegarde a beau avoir défendu son bilan à l’ouverture de l’assemblée de l’APN, le mécontente­ment des communauté­s ne s’estompera pas, selon deux experts.

La croisée des chemins

« Je me bats pour les droits autochtone­s. Je l’ai fait toute ma vie, je le fais aujourd’hui », avait martelé le chef national à la veille de l’élection.

Or, malgré sa victoire, Perry Bellegarde va devoir « commencer à écouter les leaders des communauté­s autochtone­s sur le terrain », a prévenu Claudette Commanda, qui est membre du conseil de bande de Kitigan Zibi et professeur­e à l’Université d’Ottawa.

« Peu importe le chef, il faut travailler avec le gouverneme­nt, mais il ne faut jamais faire de compromis sur nos principes. »

Jason MacLean, de l’Université de Saskatchew­an, estime que les reproches des rivaux de Perry Bellegarde ne seront pas oubliés. Car les militants autochtone­s jugent que la stratégie de l’APN ces dernières années, de collaborer avec le gouverneme­nt pour l’influencer, est un échec.

Cet enseignant en droit environnem­ental, qui a étudié le rapport des communauté­s autochtone­s à l’environnem­ent, prédit que la victoire de M. Bellegarde sera suivie d’un fractionne­ment de l’APN, car le mécontente­ment des communauté­s à l’endroit du gouverneme­nt Trudeau — notamment en raison de son appui politique et financier à l’oléoduc Trans Mountain — est profond.

« Les militants autochtone­s ne seront pas réduits au silence. Si l’APN renoue avec M. Bellegarde, elle risque bien de perdre sa légitimité auprès d’une grande partie de ses membres », prédisait-il à l’issue du premier tour du vote.

Carolyn Bennett dans l’embarras

La ministre des Relations Couronne Autochtone­s, Carolyn Bennett, a semé la zizanie en rencontran­t les chefs des Premières Nations de l’Alberta en matinée.

Les quatre candidats qui s’opposaient à Perry Bellegarde l’ont aussitôt accusée de tenter d’influencer l’élection du chef national. Voilà un autre exemple du copinage entre le gouverneme­nt et Perry Bellegarde, a lancé Sheila North.

«Le gouverneme­nt ne veut pas de changement » à la tête de l’APN, a-telle argué, en contestant en vain avec les trois autres candidats le vote de mercredi.

Le bureau de Mme Bennett a nié toute ingérence. La ministre avait été invitée par le chef régional de la province au sein de l’APN, a affirmé son bureau, et « à aucun moment » l’élection n’a été discutée.

Les militants autochtone­s ne seront pas réduits au silence JASON MACLEAN

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