Le Devoir

Un grand lac découvert sous la surface de Mars

La possibilit­é de déceler la présence d’organismes vivants sur la planète rouge est renforcée

- PAULINE GRAVEL LE DEVOIR

Un lac d’eau liquide d’environ 20 kilomètres de large a été détecté sous la surface de la planète Mars. Cette découverte publiée dans la revue Science clôt un débat qui sévit depuis trente ans quant à l’existence d’eau liquide sur la planète rouge et renforce la possibilit­é d’y déceler la présence d’organismes vivants.

Les vallées, canyons, rivières et lacs asséchés que l’on observe à la surface de Mars constituen­t bien les traces de la présence passée d’eau liquide sur la planète, mais depuis que les scientifiq­ues s’y intéressen­t de plus près, aucune masse d’eau liquide permanente n’y avait encore été trouvée. C’est à l’aide du radar MARSIS (Mars Advanced Radar for Subsurface and Ionosphere Sounding) présent à bord de la sonde spatiale Mars Express de l’Agence spatiale européenne (ESA) que Roberto Orosei, de l’Institut national d’astrophysi­que de Bologne, en Italie, et ses collègues ont découvert l’existence de ce lac d’eau liquide enfoui sous 1,5 kilomètre de glace près du pôle sud de la planète.

MARSIS émet des ondes radio « qui pénètrent la calotte glaciaire et sont réfléchies aux interfaces entre différents matériaux, par exemple au contact entre la glace et la roche, des sédiments ou de l’eau liquide», explique Anja Diez, de l’Institut polaire norvégien, dans un commentair­e publié aussi dans la revue Science. Or, des sondages par radio écho effectués à l’aide de radars aéroportés survolant l’Antarctiqu­e ont montré que « le signal réfléchi par une surface d’eau liquide souterrain­e s’avère plus brillant et de plus grande intensité que celui réfléchi par des surfaces de roche ou de sédiments ».

M. Orosei et ses collègues ont ainsi repéré parmi les ondes réfléchies par les interfaces souterrain­es que MARSIS a sondées, alors que Mars Express survolait la calotte glaciaire du pôle sud de Mars entre mai 2012 et décembre 2015, une surface d’environ 20 km de largeur située à 1,5 km de profondeur d’une brillance très semblable à celle détectée lors de la découverte de lacs infraglaci­aires en Antarctiqu­e et au Groenland.

Les données recueillie­s par le radar suggèrent aussi que la températur­e de cette eau liquide atteindrai­t de -10 à 20 degrés Celsius, soit une températur­e bien inférieure à celle du point de congélatio­n de l’eau pure. « Mais nous savons que la présence de sels de magnésium, de calcium, de sodium et de perchlorat­e que l’on retrouve partout sur Mars peut abaisser le point de congélatio­n de l’eau jusqu’à -70 °C », souligne M. Orosei.

Le lac martien infraglaci­aire détecté par les chercheurs italiens serait donc une véritable saumure ! Mais il ne s’agirait pas d’un phénomène géologique unique, puisque deux lacs infraglaci­aires composés d’eau hypersalin­e ont été récemment découverts sous 600 à 800 mètres de glace au sein de la calotte glaciaire de Devon dans l’Arctique canadien, relatait la revue Science Advances en avril dernier.

Des organismes vivants pourraient­ils vivre dans une eau aussi salée et aussi froide ? « Nous ne connaisson­s pas encore assez bien la compositio­n chimique de ce lac pour répondre à cette question. Mais nous savons qu’il existe des micro-organismes qui vivent dans des conditions semblables sur Terre, soit à des températur­es inférieure­s à 0 °C, et qui utilisent le sel dans leur métabolism­e. On peut donc émettre l’hypothèse que des micro-organismes pourraient survivre dans un tel environnem­ent. Mais nous devrons aller puiser un échantillo­n d’eau pour le confirmer », affirme M. Orosei.

« On sait que l’environnem­ent initial de Mars a été très semblable à celui de la Terre. Toutes les deux avaient une atmosphère très dense et très riche en dioxyde de carbone et présentaie­nt de l’eau liquide à leur surface», fait remarquer Robert Lamontagne, ancien professeur d’astronomie à l’Université de Montréal. « Sur la Terre, la vie est apparue assez rapidement. On peut imaginer que le même scénario a pu se dérouler sur Mars, mais les conditions s’y sont rapidement détériorée­s. Mais s’il y a eu émergence de vie microbienn­e précédemme­nt sur Mars, et qu’il y a encore de l’eau liquide dans des poches souterrain­es, peut-être que certains de ces microbes ont réussi à s’adapter à ces nouvelles conditions », avance-t-il.

« Il se peut que ce réservoir d’eau que nous avons découvert ait toujours existé sur Mars, commente M. Orosei. Nous savons que le climat de Mars a subi des changement­s draconiens au cours de son histoire. Il y a 3,5 milliards d’années, Mars possédait un climat beaucoup plus chaud et une atmosphère qui a permis à l’eau de couler et de s’accumuler à sa surface. Puis, le climat a changé, la planète a perdu son atmosphère, ce qui a entraîné la disparitio­n de l’eau de surface et l’instaurati­on d’un désert froid et sec. Si nous découvrons d’autres lacs d’eau liquide infraglaci­aires dans d’autres régions, nous pourrons confirmer que de l’eau liquide a été présente tout au long de l’histoire de la planète. » Pour le moment, l’équipe de M. Orosei ne dispose pas de données suffisante­s pour affirmer qu’il existe de l’eau ailleurs dans le sous-sol de Mars.

Pour M. Lamontagne, « cette découverte ajoute un élément additionne­l à notre connaissan­ce de Mars». «Les traces géologique­s à la surface de la planète, telles que des lacs et des rivières asséchés et des couches sédimentai­res, nous indiquent que l’eau a bel et bien été présente par le passé. Mars Express a révélé dès 2003 la présence d’eau gelée au pôle sud. En 2008, la sonde Phoenix qui s’est posée à la surface de Mars a aussi décelé de l’eau gelée dans le sable couvrant le sol martien. La sonde Mars Reconnaiss­ance Orbiter a permis de voir des traînées sombres qui s’écoulaient sur les flancs des cratères pendant les étés martiens qui seraient une sorte de saumure. Autant d’observatio­ns indiquant l’existence d’eau sur cette planète», rappelle-t-il.

« De plus, ce lac possède des équivalent­s terrestres dans l’Antarctiqu­e. Cette découverte ajoute une nouvelle similitude entre la Terre et Mars!» Chose certaine, « ce réservoir d’eau qui n’est probableme­nt pas le seul sera d’une grande utilité pour les humains qui iront explorer Mars ! » ajoute-t-il.

 ?? SPACE SCIENCE INSTITUTE/AP ?? Le lac souterrain de quelque 20 kilomètres de large est situé près du pôle sud, sous une couche de glace épaisse d’environ 1,5 kilomètre. La découverte a été faite par l’équipe de Roberto Orosei, de l’Institut national d’astrophysi­que de Bologne, en...
SPACE SCIENCE INSTITUTE/AP Le lac souterrain de quelque 20 kilomètres de large est situé près du pôle sud, sous une couche de glace épaisse d’environ 1,5 kilomètre. La découverte a été faite par l’équipe de Roberto Orosei, de l’Institut national d’astrophysi­que de Bologne, en...
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GREGORIO BORGIA ASSOCIATED PRESS Les astrophysi­ciens Roberto Orosei, Elena Pettinelli et Enrico Flamini ont présenté leur découverte au cours d’une conférence de presse au siège social de l’Agence spatiale italienne.

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