Des chenilles pour étudier la biodiversité de la forêt montréalaise
Des chercheurs utilisent des leurres en pâte à modeler pour étudier la biodiversité de la forêt montréalaise
Le Devoir part cet été à la rencontre de chercheurs qui profitent de la belle saison pour mener leurs travaux sur le terrain. Aujourd’hui, la série Grandeur nature s’intéresse à des insectes hors du commun qui peuvent en dire long sur leur environnement.
Cette pauvre chenille perchée sur la branche d’un arbre du parc Ignace-Bourget, dans le sud-ouest de Montréal, n’a eu aucune chance. En l’observant de près, on distingue clairement la blessure que lui a infligée un prédateur qui passait par là.
«Ça, c’est vraiment typique d’une trace laissée par le bec d’un oiseau », note le chercheur Bastien Castagneyrol en pointant l’abdomen de l’insecte… en pâte à modeler.
Cette fausse chenille est l’une des 750 installées cet été sur 50 arbres montréalais par Alain Paquette, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et M. Castagneyrol, de l’Institut national de la recherche agronomique de Bordeaux.
« La chenille, c’est notre instrument de laboratoire, grâce auquel on peut poser plein de questions», souligne M. Paquette. Et dans ce cas-ci, les chercheurs veulent savoir si les arbres en milieu urbain, qui sont généralement moins diversifiés, plus isolés et soumis à davantage de stress qu’en milieu naturel, sont plus vulnérables aux insectes ravageurs.
« L’hypothèse, c’est qu’une forêt plus diversifiée va offrir plus de niches, donc plus d’habitats pour les prédateurs, explique M. Paquette. Lorsqu’un insecte nuisible arrive, son effet devrait être moins grand parce qu’il y a plus de prédateurs qui vont pouvoir l’attaquer. » Et vice-versa.
Les chenilles en pâte à modeler sont fréquemment utilisées pour mesurer l’activité de prédateurs dans une forêt, mais cette étude est l’une des premières à les employer sur des arbres en milieu urbain. «Même pour nous, c’est très nouveau, admet M. Castagneyrol. On part presque de zéro. »
Le problème des villes
L’intérêt de ce projet de recherche est lié au fait que la diversité des arbres dans une ville comme Montréal est très limitée. On y dénombre 322 espèces différentes — comparativement à une cinquantaine en milieu naturel —, mais cet écart est trompeur puisque près de 60 % des arbres n’appartiennent qu’à trois espèces : l’érable de Norvège, l’érable argenté et le frêne.
« On a un grand nombre d’espèces en ville, près de six fois plus qu’en forêt naturelle, mais elles sont extrêmement mal représentées, donc la biodiversité est très faible », souligne M. Paquette.
Cette réalité n’est d’ailleurs pas unique à Montréal. C’est vrai dans presque toutes les grandes villes du Québec, d’Europe et des États-Unis.
« Il n’y a peut-être que les villes en milieu tropical qui semblent échapper à ce phénomène de surdominance de quelques espèces, précise le chercheur québécois. C’est un problème qui est généralisé et inquiétant, quand on sait qu’on perd près de 20 % de notre canopée avec un seul insecte qui est en train de tuer les frênes. »
Résultats à venir
Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont réparti leurs fausses chenilles de trois centimètres de long dans trois parcs où la diversité et le niveau d’isolement des arbres diffèrent: Ignace-Bourget, Angrignon et Marguerite-Bourgeoys.
Le mois dernier, les chercheurs ont inspecté chacun des insectes en pâte à modeler pour voir s’ils avaient été attaqués, et par quoi. Les traces de bec révèlent le passage d’oiseaux, alors que les insectes laissent de plus petites marques.
Les premiers résultats sont préliminaires, mais ils permettent déjà de constater que le niveau de prédation n’est pas le même dans les trois parcs. Les chercheurs pourront en avoir le coeur net au terme de la deuxième collecte de données prévue au cours des prochaines semaines. Ils profiteront également de leur passage dans les parcs pour mesurer les impacts des insectes ravageurs sur les feuilles des arbres.
« Si on arrive à la conclusion que les arbres isolés ou que les arbres entourés de la même espèce ne bénéficient pas d’une protection liée à la diversité d’un voisinage plus intéressant, on comprendra que ça les rend encore plus vulnérables qu’ils ne le sont déjà en étant dans un milieu urbain, où ils sont plus stressés et plus exposés aux insectes défoliateurs, affirme Alain Paquette. Ce serait un argument de plus pour la diversification des arbres en ville. »
Ces résultats pourraient à terme avoir des impacts sur notre manière de planifier l’aménagement urbain, mais aussi et surtout sur la santé humaine, insiste le professeur.
« Dans le futur, on va avoir encore plus besoin des arbres, mais encore faut-il qu’ils soient encore là, parce qu’eux aussi vont souffrir des changements climatiques. Et ç’a déjà commencé. »
Impliquer les jeunes
Les travaux menés cet été à Montréal constituent en quelque sorte une étude-pilote, qui est appelée à prendre de l’ampleur dans les prochaines années. Les chercheurs espèrent accroître leur échantillon et comparer des données recueillies sur des arbres qui vivent dans des conditions encore plus variées.
Pour ce faire, ils veulent faire appel aux élèves des écoles du Québec, qui pourraient les aider à fabriquer les fausses chenilles et à observer la présence de prédateurs. L’objectif est bien sûr de faciliter les travaux de recherche, mais aussi de sensibiliser les jeunes à l’écologie grâce à un projet de science participative. Après tout, ce sont eux qui pourront profiter à long terme d’une forêt diversifiée et en santé.