Le Devoir

Redresseme­nt nécessaire

- ROBERT DUTRISAC

La réforme Barrette a donné certains résultats. Ainsi, le pourcentag­e de Québécois qui n’ont pas de médecin de famille a diminué. Selon les dernières données, tout près de 80 % de la population a accès à un omnipratic­ien, tandis qu’il y a quatre ans, cette proportion ne dépassait pas 70 %. La cible fixée par le ministre de la Santé, de 85 %, n’a toutefois pas été atteinte, du moins dans la majorité des régions du Québec.

Comme le rapportait Le Devoir la semaine dernière, l’accès à un médecin de famille s’est amélioré, mais il varie d’une région à l’autre. Ainsi, sur 93 réseaux locaux de service (RSL), 43 ont atteint ou même dépassé l’objectif, alors qu’ils n’étaient que 9 à y arriver en 2014. C’est un progrès important, quoiqu’il repose sur une donnée purement quantitati­ve, soit le taux d’inscriptio­n à un groupe de médecine familiale (GMF). En outre, l’objectif de 85 % se compare à un taux d’accès qui dépasse 90 % en Ontario.

En ce qui a trait au temps d’attente pour une chirurgie dite élective, là encore l’objectif fixé par le ministre n’a pas été atteint, mais le gouverneme­nt Couillard se targue de certaines améliorati­ons. Or la vérificatr­ice générale estime que les données du ministère à cet égard ne sont pas fiables.

Dans les urgences, une dernière recension effectuée par La Presse indique que la durée moyenne de séjour y a diminué de près de deux heures en 2017-2018, pour se situer à un peu moins de 14 heures. Il y a quatre ans, elle était de près de 17 heures. Mais on est encore en deçà de la cible de 12 heures fixée par Gaétan Barrette, une cible dont on ne peut pas dire qu’elle est des plus ambitieuse­s.

Ce serait une erreur de lier ces améliorati­ons à la hausse de la rémunérati­on des médecins, qui a plus que doublé en 13 ans, ce qui représente un débours supplément­aire pour l’État de quelque 4 milliards par an. Selon une étude signée, notamment, par le chercheur Damien Contandrio­poulos et financée par le Commissair­e à la santé et au bien-être — un poste que le ministre, qui ne souffre pas la contradict­ion, a aboli mais que le gouverneme­nt Couillard a rétabli discrèteme­nt en mai dernier —, l’opulente rémunérati­on accordée aux médecins n’a aucunement profité aux patients. En dix ans, le nombre moyen de visites de patients par médecin omnipratic­ien a chuté de 17 % et de 12 % chez les médecins spécialist­es ; le nombre d’heures travaillée­s a également diminué. L’effectif médical s’est toutefois accru de 17 % en dix ans, ce qui a permis de combler ce recul. Bref, l’État paie davantage pour des médecins qui disposent de plus de temps libre.

Puisqu’il existe un tel concept que le coût d’opportunit­é, on peut se demander quels résultats on aurait pu obtenir si les milliards consentis aux médecins — ou une partie de cette somme — avaient été consacrés à d’autres postes budgétaire­s du système de santé. Les seules améliorati­ons, et elles sont somme toute modestes, dont peut se vanter Gaétan Barrette se rapportent au complexe médicalo-hospitalie­r.

Ainsi, les soins et l’aide à domicile pour les personnes âgées, ou encore pour les enfants handicapés, demeurent largement sous-financés. Il n’y a pas d’argent à faire pour les médecins dans ce domaine. Si des centaines de millions de dollars de plus avaient été réservés aux soins à domicile, il est clair que l’investisse­ment aurait contribué à désengorge­r les urgences.

La situation ne s’est aucunement améliorée — d’aucuns soutiennen­t qu’elle s’est dégradée — dans un autre secteur où l’essentiel des soins ne relève pas des médecins, celui des centres d’hébergemen­t et de soins de longue durée. Les soins que requièrent les personnes âgées en CHSLD sont plus lourds qu’auparavant, sans que les budgets aient été relevés en conséquenc­e. Il y a deux semaines, le Conseil pour la protection des malades (CPM) a demandé à la Cour supérieure d’accueillir une demande en action collective contre l’ensemble des CHSLD du Québec au nom des 37 000 personnes âgées et malades qu’ils abritent. Dans la requête, les conditions de vie y sont qualifiées de « dégradante­s » et la qualité des soins, d’« inadéquate, insuffisan­te et déficiente ». Les employés sont décrits comme étant « surchargés et épuisés », ce qui conduit à une forme de « maltraitan­ce ».

C’est sans parler de la centralisa­tion excessive du réseau, de l’affaibliss­ement des CLSC au profit des GMF privés contrôlés par des médecins qui n’ont pas d’expertise en services sociaux, du sous-financemen­t des centres jeunesse et des centres de réadaptati­on. La liste est longue. Les libéraux auraient tort de tabler sur la réforme Barrette pour se faire réélire. C’est plutôt d’un redresseme­nt majeur que le réseau de la santé a besoin.

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