Le Devoir

Les Casques blancs en Syrie : propagande ou réalité ?

- Rachad Antonius Professeur titulaire au Départemen­t de sociologie de l’UQAM

Les images de la guerre en Syrie ont été dominées par des représenta­tions de cette guerre dans lesquelles les Casques blancs (CB) ont joué un rôle majeur. S’il est vrai qu’il y a des volontaire­s héroïques qui travaillen­t avec les Casques blancs, l’entreprise ellemême a une fonction géostratég­ique moins glorieuse, centrée sur la production d’images visant à justifier les interventi­ons militaires en Syrie.

Les grands médias internatio­naux et locaux ont rejeté du revers de la main les critiques formulées envers les Casques blancs syriens, les considéran­t comme de la propagande russe relevant des « théories du complot » et faisant le jeu du régime syrien et de la Russie. Ces accusation­s sont rarement accompagné­es d’une discussion des faits empiriques rapportés par les critiques des CB. Mais qu’en est-il, vraiment? Les deux synthèses critiques de la controvers­e qui nous ont semblé les plus complètes sont celles de Max Blumenthal, et surtout celle de la Transnatio­nal Foundation for Peace and Future Research. Il ressort de ces analyses ce qui suit, et qui est bien documenté.

Le fondateur des Casques blancs est un militaire britanniqu­e nommé James Le Mesurier. Sur le site de l’organisati­on MayDay Rescue, qu’il a aussi mise sur pied, il se décrit lui-même comme ayant été impliqué dans « des activités de stabilisat­ion dans le secteur de la sécurité ». En suivant les liens entre les diverses entreprise­s liées à Le Mesurier (Olive Group, Constellis, Blackwater devenue Academi), on comprend mieux le sens de cette descriptio­n. C’est le secteur des sociétés militaires privées qui intervienn­ent dans l’ombre de l’armée américaine dans les zones de turbulence, quelquefoi­s de façon clandestin­e, en employant des mercenaire­s. Blackwater était présidée par Dick Cheney, instigateu­r de sa guerre en Irak avec fabricatio­n de fausses preuves de possession par Saddam Hussein d’armes de destructio­n massive. Le fait que les CB ont été évacués de Syrie grâce aux bons offices d’Israël en dit long sur les alliances tissées sur le terrain entre les divers acteurs politiques.

Les Casques blancs ont travaillé de façon très étroite avec l’organisati­on Syria Campaign, dont l’action s’inscrit dans la stratégie infructueu­se de « changement de régime » de Washington. La Syria Campaign visait à encourager une interventi­on militaire américaine contre le gouverneme­nt syrien. Tant la Syria Campaign que les Casques blancs ont mis la de- mande d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie au coeur de leurs revendicat­ions. Rappelons que c’est l’établissem­ent d’une zone d’exclusion aérienne qui avait permis la réalisatio­n du scénario libyen de changement de régime, et le chaos à grande échelle qui en est résulté.

De son côté, le programme britanniqu­e d’informatio­n alternativ­e UK Column News a compilé des images vidéo incriminan­tes. Ce reportage inclut entre autres des vidéos montrant des membres des Casques blancs en uniforme, armés, et participan­t, avec l’organisati­on djihadiste Jabhet Al Nosra, à des démonstrat­ions de force. D’autres images montrent des Casques blancs se féliciter ouvertemen­t de la mort de journalist­es qui travaillen­t pour le gouverneme­nt syrien.

Alors que les CB insistent sur leur site pour dire qu’ils sont indépendan­ts des gouverneme­nts impliqués dans la guerre en Syrie, le porte-parole du départemen­t d’État américain, Mark Toner, a admis que son gouverneme­nt leur a fourni 23 millions de dollars. Le Foreign Office britanniqu­e a aussi été un fournisseu­r de fonds majeur. Ces deux gouverneme­nts ont été lourdement impliqués dans la stratégie de « changement de régime » en Syrie.

Des images pour la propagande

On voit donc que si ce groupe sauve des vies, c’est surtout l’orientatio­n politique de son action qui pose problème. Les images que l’organisati­on des CB produit étant distribuée­s à l’échelle internatio­nale en dépit de leur véracité douteuse, elles constituen­t un élément fondamenta­l du récit dominant sur le conflit, récit généraleme­nt repris de façon non critique par la grande presse, visant à donner un vernis moral à la stratégie américaine en Syrie.

Un exemple: la présumée attaque chimique à Douma en avril 2018. Même Robert Fisk, qui a visité la ville après l’attaque présumée, explique qu’il n’y a pas de preuves tangibles d’attaque chimique. Une rumeur lancée par les Casques blancs a provoqué une réaction de panique, et c’est cette réaction qui a été filmée et distribuée dans le monde entier. Les CB avaient aussi affirmé, sans preuve, que c’est le régime syrien qui avait bombardé un convoi de l’ONU de denrées alimentair­es qu’il avait lui-même coordonné, affirmatio­ns reprises intégralem­ent par le gouverneme­nt américain.

On est loin, ici, de l’amateurism­e de la fameuse mise en scène utilisée lors de la première guerre du Golfe, dans laquelle on avait prétendu que des soldats irakiens avaient jeté à terre des nouveau-nés dans un hôpital koweïtien pour voler les incubateur­s. Tout était faux, mais la stratégie avait marché et cette mise en scène avait contribué à mettre l’opinion publique américaine du côté de l’interventi­on militaire. Le parallèle saute aux yeux, mis à part le niveau de sophistica­tion. Il s’agit là d’une propagande orwellienn­e ahurissant­e, quand on en prend conscience…

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ABDULMONAM EASSA AGENCE FRANCE-PRESSE Un Casque blanc évacue l’un de ses collègues après un bombardeme­nt dans la Ghouta orientale en mars 2017.

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