Le Devoir

Les victimes américaine­s du président

Plusieurs entreprise­s des États-Unis subissent déjà les contrecoup­s des mesures protection­nistes décrétées par Donald Trump

- GÉRARD BÉRUBÉ

Cette guerre commercial­e est à peine déclenchée que déjà les victimes se font nombreuses dans le camp américain. Et c’est sans compter les dommages macroécono­miques à venir, pour l’instant atténués par une économie fonctionna­nt à son plein potentiel.

Hier Harley-Davidson, aujourd’hui Whirlpool et GM, demain Boeing, Deere, Carterpill­ar… Les acheteurs immobilier­s américains paient déjà leur tribut des droits punitifs imposés sur le bois d’oeuvre canadien.

Pour leur part, les agriculteu­rs américains s’accrochent désormais à l’aide financière de Washington visant à compenser les effets de la riposte et leur impact sur le prix des matières premières.

Que dire aussi des imprimeurs, des éditeurs et de la presse américaine, ébranlés par la révolution numérique, qui peinent à absorber le choc des tarifs douaniers sur le papier canadien importé. Et nous n’en serions qu’au premier stade d’une escalade appréhendé­e.

Symbole suprême du capitalism­e américain, Harley-Davidson prévenait mardi ses actionnair­es d’une détériorat­ion de ses marges bénéficiai­res. Les tensions commercial­es ajouteront 2200 $US au prix au détail de ses motos, une addition à la facture que le fabricant entend absorber le temps de délocalise­r sa production destinée au marché européen.

Whirlpool, partisan de la première heure de l’applicatio­n de tarifs douaniers sur les importatio­ns d’aluminium et d’acier, déchante aujourd’hui. Le fabricant d’appareils électromén­agers y voyait une contrainte bienfaisan­te à la concurrenc­e étrangère, venant essentiell­ement de la Corée.

Or, « les prix de l’acier, matériau utilisé par Whirlpool dans la fabricatio­n de ses produits “blancs”, flambent. Ils sont actuelleme­nt de 60 % plus élevés aux États-Unis comparés au reste du monde », déplore l’entreprise située au Michigan, qui ajoute que « les incertitud­es entourant les tarifs douaniers perturbent la chaîne d’approvisio­nnement » et exercent une pression sur les marges bénéficiai­res.

[ Les ] consommate­urs américains vont devoir assumer une partie ou la totalité de la hausse du prix des métaux, des matériaux, des matières agricoles et des produits importés

Sans compter l’accroissem­ent de la concurrenc­e étrangère en territoire américain. LG est en train d’investir 250 millions dans une usine au Tennessee qui emploierai­t environ 600 personnes, tandis que Samsung a repris un ancien site de Caterpilla­r en Caroline du Sud dans lequel il prévoit d’injecter au total 380 millions, peut-on lire dans un texte de l’Agence France-Presse.

GM aussi affirme souffrir de l’imposition d’une taxe sur l’acier et l’aluminium, ces matériaux comptant pour la moitié des composants entrant dans la fabricatio­n d’un véhicule. Le géant américain de l’automobile a abaissé mercredi ses cibles pour 2018. L’envol de leur prix a augmenté les coûts de GM de 300 millions comparativ­ement à il y a un an, a-t-il déploré.

Et l’applicatio­n d’une taxe sur le secteur automobile n’en est encore qu’au stade de la menace ! Cette industrie est aujourd’hui à ce point mondialisé­e et les chaînes de production toujours plus intégrées que Peter Welch, patron de la Fédération des vendeurs automobile­s, a calculé que de telles taxes pourraient entraîner la perte de 715 000 emplois aux États-Unis et ôter près de 60 milliards au PIB américain sous le poids d’une diminution des ventes et de l’augmentati­on des prix.

Le gouverneme­nt Trump commence, à peine, à reconnaîtr­e les contrecoup­s internes de cette guerre commercial­e qu’il engendre. L’annonce, mardi, d’une aide financière de 12 milliards en appui aux agriculteu­rs touchés par les mesures de représaill­es aux tarifs douaniers appliquées par leurs partenaire­s commerciau­x en est une illustrati­on.

Mais il faudra également penser à tous ces consommate­urs américains qui vont devoir assumer une partie ou la totalité de la hausse du prix des métaux, des matériaux, des matières agricoles et des produits importés.

Il faudra également se rappeler qu’avec une économie frôlant son plein potentiel et son plein-emploi, le protection­nisme et la stimulatio­n économique à grande échelle feront sentir leur effet amplificat­eur sur la devise américaine, sur l’inflation et, par ricochet, sur les taux d’intérêt, dont la hausse attendue pourrait être plus prononcée. Et leur effet de rétroactio­n sur les dépenses de consommati­on, sur les déficits, sur l’endettemen­t, public et privé, et sur la valorisati­on boursière. S’ajoute le risque inflationn­iste accru venant de la progressio­n des cours pétroliers, des pressions haussières sur les salaires et, désormais, de la multiplica­tion des tarifs douaniers.

Les économiste­s le martèlent. Cette guerre commercial­e ne fait qu’ajouter à la liste de mauvaises politiques appliquées au mauvais moment et ne peut que produire des résultats inverses à ceux souhaités par Donald Trump sur la conjonctur­e économique, sur le déficit commercial et sur le pouvoir d’achat des Américains.

Newspapers in French

Newspapers from Canada