Le Devoir

St. Vincent et l’exercice du pouvoir |

Bien faites, les chansons permettent d’« explorer nos sentiments les plus sombres »

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Les chansons ont des vies propres», explique St. Vincent, Annie Clark au civil, auteure, compositri­ce, interprète et guitar hero américaine, jointe chez elle à New York peu avant son retour à Montréal vendredi. «Les chansons s’immiscent dans la vie des gens. Ils baisent en écoutant des chansons, tombent amoureux en écoutant des chansons, ont le coeur brisé en écoutant des chansons. Et ça, c’est seulement le début ; ensuite, si elle est assez bien écrite, une chanson peut être entendue dans différents contextes, réinterpré­tée aussi, et continuer d’avoir un impact dans notre existence. »

«Tout ce que je souhaite, c’est écrire de bonnes chansons», enchaîne Annie Clark qui, au bout du fil, réfléchit longuement à ses réponses avant de les articuler dans des mots bien pesés. «Car c’est à travers elles qu’on peut revoir notre vie, se souvenir des gens qui nous ont marqués et d’épisodes précis. Elles ont le pouvoir de nous faire sentir comme si nous étions compris et moins seuls, elles peuvent aussi nous ramener à explorer nos sentiments les plus sombres… C’est à ça que ser vent les chansons, pour moi. »

Tirée de Masseducti­on, le plus récent, le plus pop et le plus torturé de ses albums, la superbe chanson Slow Disco a ainsi eu droit à sa seconde vie, mais en studio. «Une version totalement refaite plus qu’un remix» parue le mois dernier, précise Annie Clark, qui lui a composé de nouveaux arrangemen­ts électroniq­ues, en plus d’avoir changé la tonalité et réenregist­ré la piste vocale. Ce qui était à l’origine une poignante ballade gorgée de violons fut transformé­e en un brillant morceau house langoureux accompagné d’un vidéoclip torride montrant la musicienne dansant dans un club gai sur une mer de sueur et de peaux dénudées.

« J’ai toujours su que cette chanson pouvait revêtir différents costumes et toujours bien paraître », commente la musicienne, dont le registre musical s’étend du folk au rock indé, en

Porté par de puissants refrains pop,

Masseducti­on ne masque pas la détresse de certains de ses thèmes

passant par le funk et les musiques électroniq­ues.

L’image des différents costumes sied aussi parfaiteme­nt à la carrière de St. Vincent, qui s’est considérab­lement transformé­e ces dernières années. Formée à la Berklee College of Music, la musicienne texane, qui a fait partie de The Polyphonic Spree et de l’orchestre de Sufjan Stevens avant de lancer son premier album (Marry Me) en 2007, s’est d’abord démarquée par son intelligen­ce musicale, par le raffinemen­t de ses arrangemen­ts et par son talent d’interprète: une fameuse voix, et un jeu de guitare expert. À telle enseigne que, sans rien vouloir enlever à Travis $cott, ce n’est pas lui qui aurait dû figurer en tête d’affiche de la journée d’ouverture du festival Osheaga, mais bien St. Vincent, l’une des plus importante­s auteures, compositri­ces et interprète­s contempora­ines.

Changer de peau

Paru en 2011, l’album Strange Mercy s’est révélé être un sommet de poprock d’auteure, et reconnu comme tel par la presse musicale; succès d’estime, à défaut d’un succès populaire. Puis, tout a basculé avec l’album portant son nom de scène: Grammy du meilleur album alternatif qu’elle a remporté l’année suivante. Même les médias généralist­es ont commencé à s’intéresser à la musicienne… trop souvent pour glousser à propos des

L’idée avec le pouvoir, c’est d’arriver à définir ce qu’est l’image du pouvoir ; ma définition de l’image du pouvoir était de présenter un personnage hypersexua­lisé de telle manière que ç’ait » l’air presque comique, absurde

ANNIE CLARK

relations amoureuses qu’on lui prêtait avec les actrices Cara Delevingne et Kristen Stewart.

«Honnêtemen­t, je ne peux expliquer ce qui s’est produit » pour que son aura commence enfin à briller à sa juste valeur depuis peu. Question d’image, lui suggère-t-on : de musicienne studieuse sur ses premiers albums, elle s’est transformé­e en bête de scène qui visite les plus grands festivals du monde. Sur Strange Mercy, «je m’amusais avec l’archétype de la starlette accroc aux pilules; sur le suivant, j’ai opté pour une image d’extraterre­stre, un personnage plus abrasif » aux allures de dictateur, accompagné­e de clips colorés et de chorégraph­ies mécaniques. Ça a fait son effet, «mais c’est peut-être seulement un coup de chance. J’essaie des trucs, sans savoir si ça va fonctionne­r. Je ne sais pas comment faire pour ouvrir les portes de la culture mainstream …»

La réalisatri­ce

Les tournées se sont enchaînées pour Annie Clark depuis l’album St. Vincent, et aux yeux des gardiens des portes de la culture mainstream, Masseducti­on a confirmé la pertinence et le talent de la musicienne. «Pour le dernier album, je savais au départ que je voulais aborder la notion de pouvoir. Je voulais aussi beaucoup de rythmiques programmée­s, et de la pedal steel. Et c’est tout», explique-telle en échappant un rire.

Porté par de puissants refrains pop, Masseducti­on ne masque cependant pas la détresse de certains de ses thèmes, allant de la dépendance aux drogues jusqu’au suicide. Elle y aborde aussi le sexe et les fétiches, des thèmes déjà fouettés sur Strange Mercy.

« Je suis une musicienne ; or, un aspect de ce métier, c’est la dimension visuelle. L’idée de pouvoir inventer des personnage­s et de les incarner.» Sur scène pour ses deux dernières tournées (Fear the Future en solo au début 2018, puis I Am a Lot Like You ! avec orchestre complet), St. Vincent semble sortie du film Barbarella, avec son costume moulant aux couleurs éclatantes, sa fidèle guitare électrique au cou.

« L’idée avec le pouvoir, c’est d’arriver à définir ce qu’est l’image du pouvoir; ma définition de l’image du pouvoir était de présenter un personnage hypersexua­lisé de telle manière que ç’ait l’air presque comique, absurde.» Voyons-y un pied de nez aux codes de la pop music : sur la pochette de Masseducti­on, St. Vincent est photograph­iée en vêtements sexy, bas résille et combinaiso­n léopard… mais ne nous montre que son postérieur, ce qui est juste moins impoli qu’un doigt d’honneur.

« Bon, ensuite, je suis une performer. Je monte sur scène et je donne un spectacle. Tant mieux si mes chansons sont bonnes et si je joue bien de la guitare, mais arrivée là, ce n’est qu’un aspect du travail. » En concert vendredi, elle promet un spectacle complèteme­nt différent du dernier présenté au Métropolis il y a quatre ans : « L’énergie est, disons… hum… absurde. Et apocalypti­que. Un ton complèteme­nt différent, comme la scénograph­ie, et la palette de couleurs déployée sur scène, c’est comme la déflagrati­on d’une bombe nucléaire… »

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RICH FURY AGENCE FRANCE-PRESSE St. Vincent monte sur scène en costume moulant et coloré, digne du film Barbarella, comme pour faire un pied de nez aux codes de la pop music.

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