Crise de la main-d’oeuvre dans Rousseau |
Près du tiers des résidents de cette circonscription de Lanaudière sont des travailleurs de métiers. Mais où sont-ils passés ?
Lundi midi à Saint-Alexis-de-Montcalm, les hommes en bleu de travail franchissent les portes du restaurant Oli AM. La propriétaire, Annie Fairfield, s’active à l’entrée de la cuisine et derrière son tablier pointe un symbole de la période difficile que traverse la région où elle travaille et habite.
Il apparaît là, dans son ventre rebondi, ce bébé de 39 semaines qui doit venir au monde tout prochainement (et qui est bel et bien né le vendredi 20 juillet, quelques jours après le passage du Devoir).
La serveuse-entrepreneuse n’a pas les moyens de trouver dans sa grossesse un répit ; chez Oli AM comme partout ailleurs dans ce secteur de Lanaudière, « il y a une pénurie de maind’oeuvre », répètent les employeurs et les travailleurs.
La circonscription de Rousseau, où se trouve Saint-Alexis, est un quadrillage de routes régionales et nationales bordées de champs, au bout desquelles les commerces et les garages annoncent les municipalités, dont la plus populeuse est — de loin — Saint-Lin–Laurentides, avec ses 17 000 habitants.
C’est ici que l’on retrouve la plus grande proportion de travailleurs des métiers, des transports ou de la machinerie au Québec. Pas moins de 28 % des résidents de Rousseau sont mécaniciens, charpentiers ou conducteurs d’équipement lourd, pour ne nommer que ceux-là.
Or, ces travailleurs, ils sont désormais difficiles à trouver.
Solution Internet
« Il faut quasiment aller les chercher par la main », remarque Sylvain Lafortune, dont le casse-croûte éponyme accueille des rondes d’ouvriers ou de petites joueuses de soccer, au coin de la 138 et de la rue Principale. « Il n’y a pas personne qui vient porter son CV. On en cherche sur Internet. »
D’où il est, il peut jeter un coup d’oeil sur le Oli AM d’Annie Fairfield, à qui il prodigue parfois quelques conseils. « Il faut aller les recruter, reconnaît la maman propriétaire. M. Lafortune en face me dit : “Annie, va les chercher.” »
Pour cela, la directrice de production de Lanauco, Alexandrine Mailhot, s’est tournée vers les réseaux sociaux. « Nous, on essaie de viser les jeunes. Alors… Facebook ! » lance la jeune femme, dans les bureaux modernes de cette grande entreprise qui installe des poteaux électriques pour Hydro-Québec. « C’est nous qui devons vendre l’entreprise, dire qu’on est vraiment le fun, qu’on organise des BBQ. C’est vraiment un autre paradigme qui vient d’émerger. »
L’attrait des métiers comme ceux qu’offre son entreprise est pourtant grand dans la région. «Je suis de Saint-Alexis, j’ai grandi ici, et parmi mes amis du secondaire, tous les gars s’en vont dans le secteur de la construction et les filles, à l’Université à Montréal », observe-t-elle.
Les statistiques le reflètent. On retrouve dans Rousseau le plus bas taux de diplomation universitaire au Québec (6,7 %), mais aussi un taux de diplômés d’écoles d’apprenti ou de métiers qui dépasse la moyenne québécoise de 11 points de pourcentage chez les 25-64 ans. « C’est sûr qu’il n’y a pas beaucoup de bureaux de notaires ou d’architectes dans notre coin », remarque Gaston Wolfe, agriculteur et président de l’événement des Tirs de tracteurs antiques de Saint-Alexis, où 1500 personnes se donnent rendez-vous tous les ans depuis 2002.
Sauf que voilà : ni la vie paisible de Rousseau ni le succès de ses tirs de tracteurs ne suffisent à retenir les travailleurs dans cette deuxième couronne de Montréal. Pour les « nouvelles générations », le pouvoir d’attraction de la métropole est grand, plus fort que celui des terres agricoles de Lanaudière ou des métiers qui s’y rattachent.
« Les jeunes […], ils en veulent des congés. Ils veulent aller en camping trois jours par semaine, de temps en temps, illustre Gaston Wolfe. Les priorités ne sont plus à la même place. Et c’est correct. C’est dur pour nous des fois de l’accepter, mais c’est comme ça », poursuit l’homme de 60 ans.
À Montréal, les travailleurs trouvent aussi des conditions plus attrayantes ou la stabilité associée à un contrat sur un vaste chantier, ajoute Félix Villeneuve, directeur des opérations à la Sablière Jean Villeneuve et chez Pelletier Excavation, à SaintLin–Laurentides. « Ça fait peut-être deux ans. L’échangeur Turcot, le pont Champlain, ç’a tiré beaucoup », remarque-t-il. Dehors, 10 % de la trentaine de camions à benne que son entreprise possède sont stationnés. « On n’est pas capables de trouver personne », reconnaît l’entrepreneur. Résultat : « Il faut que tu refuses des clients, dit-il. Il n’y a pas ben, ben de solutions. Il faut trouver des êtres humains. Il n’y a pas de technologie qui remplace ça ! »
Des immigrants par autobus
Il n’y a pas de technologie, mais à l’usine où travaille Yannick Daudelin, il y a… des autobus. L’entreprise, qu’il préfère ne pas nommer, « fait venir des immigrants [par autobus] parce qu’ils ne sont pas capables… Et même avec les immigrants, ils ont du mal à couvrir les besoins », remarque le travailleur.
À son avis, la solution réside dans une meilleure intégration de ces travailleurs étrangers. « Il faudrait trouver des moyens pour les attirer dans les régions, pour qu’ils se sentent chez eux. […] C’est dans les régions qu’on a beaucoup besoin d’eux », fait-il valoir.
Autour de lui, les entrepreneurs tiennent le même discours. « Nous, automatiquement, s’il y a des immigrants dans le coin, ils sont les bienvenus », lance Serge Le Goffre. Le président de l’entreprise Composites VCI, établie à Saint-Lin–Laurentides, envisage désormais de recruter des employés dans la filière brésilienne de l’entreprise.
Chez Lanauco, Alexandrine Mailhot souligne l’attrait que pourraient prendre des subventions pour l’éloignement de la main-d’oeuvre, « pour empêcher que toute l’immigration s’en aille à Montréal, et non en région ». Autrement, comme les autres, elle voit mal comment le gouvernement du Québec pourrait l’aider. « Au Québec […], on n’a pas le contrôle sur ce phénomène-là. On peut influencer. [En revanche], je pense qu’au fédéral, ça va devenir un grand enjeu », prédit Serge Le Goffre.
Reste que dans l’immédiat, ni la politique québécoise ni la politique fédérale ne sauront régler le problème d’Annie Fairfield. « Le plan ? Je ne sais pas », admet-elle quand on lui demande comment elle envisage la conciliation travail–nouveauné. Elle fermera son restaurant pendant deux semaines après son accouchement; espérera avoir un mois d’août «tranquille » au restaurant. Et après ? « Je vais amener mon bébé. Je n’ai pas le choix. »