Le Devoir

La guerre musicale des oiseaux

Dans le monde ailé, le territoire se gagne et se perd par des chants souvent mélodieux Le Devoir poursuit une série estivale proposant un portrait sonore du Québec. Aujourd’hui : le chant des oiseaux.

- CAROLINE MONTPETIT LE DEVOIR

Le viréo aux yeux rouges est un oiseau discret. Vivant dans les boisés, dans les feuillages des arbres, il se camoufle facilement. Pourtant, quand il chante, il a le coffre d’un champion mondial. Dans son livre Lumière des oiseaux, l’écrivain et poète Pierre Morency parle de sa musique comme d’« un prêche énergique, interminab­le refrain de notes liquides où il m’a toujours semblé reconnaîtr­e les signes de notre langage ».

Le viréo est le seul chanteur, poursuit Morency, « dont on peut dire qu’il parle d’amour avec des chiffres. Du matin au soir, là où il a établi son gîte, le Petit Prêcheur répétera : “Chérie, ô huit. Chérie. Cinq, six, sept, huit, zéro. Chérie, ô huit…” ».

Contrairem­ent aux humains, les oiseaux ne délimitent pas leur territoire par leur présence physique, mais plutôt par le chant. Ils livrent ainsi une guerre pacifique, résume le musicologu­e, biologiste et musicien Antoine Ouellette, auteur du livre Le chant des oyseaulx.

Les oiseaux se servent de leur chant comme d’un drapeau établissan­t leur territoire. Faut-il alors s’étonner que le chant de la grive des bois nous transporte immédiatem­ent au milieu d’une forêt ? Ou que celui d’un plongeon huard nous ramène au milieu d’un lac isolé du nord, par un crépuscule d’été ?

Pour Antoine Ouellette, le chant des oiseaux dispose d’un langage plus développé que ce que l’on pense. Citant les travaux de William E. Barklow sur le chant du plongeon huard, il le décortique comme suit.

La « plainte » est un message d’interactio­n avec d’autres huards. Elle peut être constituée d’un seul son « semblable au cri du loup — mais encore plus fantomatiq­ue, souvent sur la note mi bémol en descendant vers la fin » — ou de plusieurs sons.

Le « trémolo » est plutôt émis «lorsque l’oiseau est dérangé ou effrayé. […] Il est fait de notes brèves, répétées en un enchaîneme­nt très rapide comme un rire sarcastiqu­e ». C’est le seul chant que l’oiseau peut émettre en vol. Il est alors modifié, « distordu », et « nerveux ».

Le « yodel » est pour sa part un chant agressif, émis par le mâle en période de nidificati­on, notamment au cours de confrontat­ions entre rivaux. « Plus l’oiseau est excité, écrit Ouellette, plus son yodel compte de répétition­s : il renforce alors l’insistance, l’urgence, la colère de son message. »

Enfin, le hululement est fait de sons « simples, doux et brefs, isolés par des silences », donnés lors de contacts familiaux ou de rencontres amicales.

Les oiseaux chantent donc pour diverses raisons, pour séduire, pour défendre leur territoire, pour avertir de la présence d’un danger.

Peut-être même chantent-ils parfois pour le simple plaisir de chanter.

«Je ne dis pas que les oiseaux parlent, écrit Pierre Morency. Je dis qu’ils disent quelque chose en étant simplement qui ils sont. »

Chant libre

En fait, les chercheurs ont remarqué que les oiseaux se mettent souvent à chanter au crépuscule, sans raison apparente. On appelle ce chant le chant de l’aurore, ou encore le chant libre. « Ces chants-là demeurent inexpliqué­s », dit Ouellette.

C’est grâce à un organe vocal nommé syrinx que les oiseaux peuvent faire des vocalises.

Et si la très grande majorité des oiseaux chantent, certaines espèces en sont dépourvues. C’est le cas de l’urubu, par exemple, ce rapace qui doit se contenter de faire des grognement­s plutôt que de chanter.

Les pics, quant à eux, préfèrent s’exprimer par les percussion­s plutôt que par le chant, bien qu’ils puissent émettre des cris.

Antoine Ouellette, qui a composé une musique pour orchestre symphoniqu­e inspirée du chant des oiseaux, intitulée La joie des grives, est accoutumé à leur expression percussive.

«Selon les espèces, ils ne tambourine­nt pas de la même manière, dit-il. Il y en a qui ont un martèlemen­t stable, rythmiquem­ent. Il y en a qui ont un martèlemen­t syncopé et jazzé. Il y en a aussi qui font un crescendo en martelant. Ils se servent de ce son pour communique­r. »

Pierre Morency dit, pour sa part, du pic flamboyant qu’il fait une série de « hak-hak-hal, assez semblable à un long rire fou et incisif », suivie d’« un roulement de tambour bref et sourd, lui aussi d’une très longue portée ». Il allait donc de soi, dans La joie des

grives, que les pics soient joués par les percussion­s. La grive fauve était jouée par la flûte et le piccolo, la grive des bois par la clarinette, et le merle d’Amérique par le hautbois.

Reste que le chant des oiseaux est une musique difficile à transcrire.

« Les oiseaux chantent très rapidement. Et les intervalle­s ne sont pas nécessaire­ment ceux de la musique humaine. Il y a des quarts de ton, des sixièmes de ton, des micro-intervalle­s », raconte Ouellette.

Chants d’apprentiss­age

Oiseau particuliè­rement intelligen­t, l’étourneau a quant à lui la particular­ité d’apprendre de nouveaux sons tout au long de sa vie. Il pourra par exemple intégrer certains sons émis par des humains, des sonneries de téléphone, voire des klaxons de voiture.

Car le vocabulair­e n’est pas strictemen­t inné chez les oiseaux. Les chercheurs ont remarqué qu’un oiseau qui est élevé loin de ses parents n’atteint jamais son plein potentiel de chanteur.

«Il y ad eschant sintergé né rationnels, des chants d’ apprentiss­age », poursuit Ouellette.

Au sein d’une même espèce, les oiseaux ont également leur dialecte, selon la région où ils se trouvent. Au Québec, c’est le cas notamment des groupes de bruants chanteurs.

À ce sujet, Jean-François Noulin écrivait, dans le magazine Québec Oiseaux : « Les bruants montréalai­s utilisent des expression­s complèteme­nt différente­s de celles qu’utilisent les bruants de Québec ou même de Saint-Jean-surRicheli­eu ».

On compterait quelque 457 espèces d’oiseaux au Québec. Et Antoine Ouellette s’inquiète de leur conservati­on.

« Au Canada, les chiffres les plus conservate­urs parlent d’une baisse de 12 % du nombre d’oiseaux depuis 1970. Il y en a qui parlent du tiers. Cela arrive pour toutes sortes de raisons, la principale étant la perte des habitats, les pratiques agricoles intensives industriel­les. En ville, il y a les fenêtres, sur lesquelles les oiseaux se fracassent. »

Il est peut-être temps d’écouter ce qu’ils ont à nous dire.

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JEAN-SIMON BÉGIN Le plongeon huard possède plusieurs chants à son répertoire pour séduire, pour défendre son territoire ou encore pour avertir de la présence d’un danger.
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JOHN BENSON CC Le viréo aux yeux rouges est un oiseau discret, mais il a le coffre d’un champion.

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