Démocratiser le death métal
L’influent groupe rimouskois Necrotic Mutation rebranche ses amplis dimanche à Heavy Montréal
En octobre 1995, l’animatrice Julie Snyder hurle et se secoue la tignasse pour la première (et sans doute dernière) fois sur la scène des Foufounes électriques, en robe de sorcière et bustier de faux acier. À ses côtés : le groupe de death métal Necrotic Mutation, qui injecte pour l’occasion une généreuse dose de venin et de distorsion à une relecture caricaturalement démoniaque de Je ne
suis qu’une chanson de Ginette Reno. Ce n’est donc pas d’hier que Sébastien Croteau, leader et (vrai) chanteur de la formation depuis 1993, pense que le métal doit saisir chacune des occasions d’être vu et entendu du plus grand nombre. « Pour moi, il n’y a pas de mauvaise vitrine. Les gens s’en rappellent encore, de L’enfer c’est nous autres. Je trace un parallèle avec Louis-Paul Gauvreau (concurrent de La voix en 2017). Indépendamment du fait que la production s’est peut-être dit que ça allait créer une controverse, j’applaudissais sa présence, parce que je me disais que ça allait en décoincer certains, mais surtout parce que ça allait faire mieux connaître ce style de musique, qui est rempli de musiciens qui, comme dans n’importe quel autre style, travaillent de manière acharnée. »
Comme dans n’importe quel autre style ? Osons écrire que le métalleux moyen doit se démener davantage que ses collègues moins bruyants afin que ses rugissements sordides, ses guitares marteau-piqueur et ses batteries chirurgicalement tintamarresques trouvent leur chemin jusqu’aux oreilles d’une communauté de disciples plus fidèles que Lassie. De 1992 à 2001, les différentes incarnations de Necrotic Mutation, qui comme tout bon groupe métal qui se respecte, a traversé d’innombrables mues, ont provoqué des déflagrations dans « tous les petits bars, toutes les petites salles et tous les sous-sols d’église » d’un vaste Québec appréciant qu’on lui chatouille violemment le tympan.
Le groupe de Rimouski (fertile pépinière métal) rééditait plus tôt cette année la majorité de son catalogue sur CD et vinyles (dont l’important EP de 1994 The Realm of Humans Illusions).
Un supergroupe composé de membres issus de différents alignements (René Lacharité, Steeve Poirier, Éric Jarrin, Chuck Tremblay, Simon Roy, Yannick Lemieux) montera dimanche sur une des scènes du festival Heavy Montréal (qui rassemble dès samedi au parc Jean-Drapeau la fine fleur du métal international… et Limp Bizkit).
C’est en prêtant ses beuglements gutturaux à la pièce Jean dit d’Olivier Choinière en février dernier au Théâtre d’Aujourdhui que Sébastien Croteau, 41 ans, décidait de rameuter ses vieux amis, une première depuis une résurrection d’un soir en 2007. « Contrairement à ce que je pensais, la réaction des amateurs de théâtre a été extraordinaire. Tout le monde était très curieux de mes techniques vocales. La morale, là-dedans, c’est de ne jamais sousestimer l’ouverture d’esprit des gens », observe le fondateur de La fabrique de monstres, une agence de chanteurs métal et d’orfèvres de la glotte collaborant à la trame sonore de séries télé et de jeux vidéo, comme Assassin’s Creed,
Prince of Persia ou Lineage.
« L’anthologie sur disque et les nouveaux spectacles, tout ça, pour moi, ça tient du devoir de mémoire, poursuit-il, parce que malheureusement, plein d’enregistrements importants du métal des années 1980 et 1990 sont encore impossibles à trouver, à moins de payer des centaines de dollars sur des sites de revente. Si on a une scène métal vivante et prospère aujourd’hui, c’est grâce à tous ses pionniers. Pour que les jeunes connaissent les avenues que pourrait emprunter le métal québécois, c’est important qu’ils connaissent les avenues qu’il a déjà empruntées. »
En route vers un Félix métal ?
En juin dernier, Sébastien Croteau faisait parvenir au conseil d’administration de l’ADISQ une lettre réclamant l’avènement d’une catégorie métal au sein de leur gala annuel. « Le métal est partout au Québec, et les acteurs de la scène métal québécoise sont partout dans le monde, écrivait-il alors. Le Québec est reconnu mondialement pour sa scène métal, ce serait bien qu’il le soit ici aussi. »
« Ça devrait aller de soi, en fait, qu’il y ait une catégorie métal. On ne devrait même pas avoir à le demander », laisset-il tomber aujourd’hui, en rappelant que les Juno décernent une statuette à un représentant des musiques lourdes depuis 2012, et les Grammy depuis 1990. Un rendez-vous avec les artisans de la remise de prix est prévu pour novembre.
« Il y en a qui pensent que, vouloir intégrer le gala, c’est vendre son âme, mais pour moi, ça, c’est une attitude d’ado qui se rebelle contre ses parents », répond-il à ceux pour qui l’entre-soi d’une famille jouissant en marge d’un solide esprit de corps suffit. « L’ADISQ, ce serait une vitrine de promotion exceptionnelle. Et puis, si le métal se doit d’être provocateur, on peut se demander c’est quoi, l’essence d’être provocateur. N’est-ce pas précisément de jouer devant un public qui n’aime pas a priori ce que tu fais ? »
S’il avoue que ses premiers textes ont été assemblés à partir d’un florilège des mots les plus dégueulasses glanés dans le dictionnaire, sa rencontre des chants diphoniques (chant de gorge inuit, chant tibétain) au tournant des années 1990 et 2000 lui aura permis de mesurer la parenté entre la voix métal et ces vénérables traditions, en plus d’enrichir sa démarche d’une réelle réflexion.
« Mais je trouve encore ça amusant de chanter des textes épeurants, parce que, de toute façon, la réalité est beaucoup plus effrayante que n’importe quelle chanson death métal. Pour moi, la voix death métal, c’est un rappel au temps où on grognait dans la caverne. On a fait du chemin depuis, mais cette voix, c’est un avertissement : si l’humanité continue dans cette direction dans laquelle elle est engagée, il y a un risque qu’on recommence à grogner et qu’on redevienne des bêtes. »