Le Devoir

Fermont et son mythique mur

On passe l’instant d’une vie dans cette ville au pays des grands barrages hydroélect­riques

- MONIQUE DURAND

Il y a toutes sortes de bouts du monde. Et tous dépaysent. Ils sont proches ou lointains et n’appartienn­ent qu’à celui ou celle qui croit les atteindre. À chacun ses bouts du monde. Ceux de notre collaborat­rice Monique Durand se trouvent au nord du Québec et au Labrador. Quatrième article d’une série de huit.

Quelle étrange impression elle dégage, cette communauté du bout du monde réglée au quart de tour, au quart de travail. 8 h du matin : la moitié de la ville s’en va à la mine, gaillarde, l’autre moitié s’en va au lit, crevée. 20 h, ça recommence. Comme une danse bien apprise. Fermont, née autour de l’extraction du fer, est située à 565 kilomètres au nord de Baie-Comeau, au bout d’une route en partie cabossée et plutôt dangereuse. Une ville où les hommes marchent une boîte à lunch à la main et les femmes, un enfant. Une cinquantai­ne de petits Fermontois sont nés l’année dernière. Les 0-49 ans composent 80 % de la population. Une ville avec des parterres semés de ballons roses et de glissades vertes, des parcs, des terrains de sports, un lac Daviault pour se baigner et un mont Daviault pour grimper. Une ville où l’on entend les avertisseu­rs sonores des camions, pick-up et autres jeeps au milieu du chant des geais gris et des bruants à gorge blanche.

Au pays des grands barrages hydroélect­riques, Fermont en a un peu la forme, construite dans une palissade haute de cinq étages, longue de plus d’un kilomètre. C’est le fameux mur d’inspiratio­n scandinave, qui fait écran aux vents du Nord, où logent des centaines de travailleu­rs et leur famille. Le mythique mur de Fermont abrite aussi l’essentiel des services, Metro COOP, Rona, SAQ , SAAQ , une pharmacie, un restaurant et un bar… de danseuses. Au pied de la palissade ont poussé des quartiers, des rues. Il y a, par exemple, une rue pour les travailleu­rs de la santé, une autre pour les policiers de la SQ. Et tout un quartier dit de « venelles », de petites rues étroites où des centaines de maisons de bois sont alignées, de toutes les couleurs, que jouxtent de grands abris pour garer les véhicules. J’habite l’appartemen­t 9 de la venelle 7 avec deux « colocs»: Jean-Philippe, un ambulancie­r, et Pierre-Luc, un technicien en traitement des eaux.

Ici, 95 % des 2500 résidents permanents vivent dans une habitation de la minière Arcelor Mittal, avec obligation, pour la plupart, de la rendre à la compagnie quand ils partiront. Pas question d’en devenir propriétai­re ou de la léguer aux enfants. « Fermont n’est pas une ville normale », m’avait dit une résidente de Labrador City, agglomérat­ion voisine et terre-neuvienne. Choquant à entendre ? Bon, ils ne se choquent pas facilement, les Fermontois. Sont habitués à se faire poser des questions du genre : Pourquoi estu allé t’enterrer là pour l’amour ? Philippe, 22 ans, a une réponse immédiate : « À cause des salaires. » Après un an comme électricie­n au concentrat­eur, le jeune homme, venu de Jonquière, gagne 110 000$ par année. « Ça vaut bien le sacrifice d’être loin », assure-t-il.

« Bon midi, la gang, bienvenue au Rock

Show !» Tous les midis, Karl GagnéCôté ouvre son émission à la radio communauta­ire avec ces mots. « Fermont est une sorte de bulle, quelque chose d’un peu non orthodoxe, une petite cité paisible, tissée serré, où l’air est pur », m’explique, en sortant du studio, le trentenair­e né en Abitibi. « Me sentir enfermé ici ? Pas le moins du monde. J’y suis bien, on a tout ce qu’il nous faut, on s’implique dans des activités, on se fait des soupers entre amis, on vit, quoi! Comme vous autres en bas ! »

« C’est vrai que Fermont peut se comparer davantage à un camp de travail qu’à une ville », concède Geneviève Richard, originaire du Bas-Saint-Laurent, qui y réside depuis 12 ans et travaille aussi à la radio communauta­ire. « Vivre dans le mur, sans balcon, j’ai trouvé ça difficile, je m’y suis parfois sentie enfermée, avoue-telle. Quand on est déménagé dans une maison avec deux portes qui donnent sur l’extérieur, nous en avions fait la demande à la compagnie, ce fut une vraie révolution ! »

«Fermont est une ville d’hommes, poursuit Geneviève, avec environ trois gars pour une fille. » Je ne peux m’empêcher de lui poser une question qui exaspère les Fermontois et les Fermontois­es : comment peut-il y avoir un seul bar qui en soit un de danseuses ? Ouf, au secours ! « C’est comme ça depuis des années. Il est fréquenté par les travailleu­rs de la mine aussi bien que les éducatrice­s des CPE, les enseignant­es et les infirmière­s. C’est notre seul bar. J’y vais de temps à autre. »

Travailleu­rs temporaire­s

Certains, certaines, ne supportent pas cette vie-là dans cette ville-là. Si cette communauté nordique incarne une grande respiratio­n et une chance à saisir pour les uns, elle représente l’enfermemen­t pour d’autres. « Mes deux enfants sont nés dans le Nord, à Gagnon, raconte Diane Minville, bibliothéc­aire, employée de la Ville. Quand la mine de Gagnon a fermé, en 1985, on s’est installé ici. Ma fille Julie vit maintenant à Montréal, travaille à l’Université McGill et ne veut rien savoir de Fermont. Tandis que mon fils Jean-Simon travaille comme dynamiteur à la mine et ne se voit pas ailleurs qu’ici. »

Aux résidents permanents s’ajoutent depuis quelques années, par centaines, des travailleu­rs « volants », ceux que l’on appelle les fly-in, fly-out. Ils «s’ajoutent », sans se mêler vraiment aux autres Fermontois. Ces hommes arrivent en avion de Montréal, de Québec, passent 14 jours d’affilée à la mine à raison de 12 heures par jour, et repartent chez eux en avion pour 14 jours. À ce rythme, pas le temps de faire grandchose à Fermont, sinon y ronfler d’épuisement dans les chambres fournies par la compagnie.

La présence de ces travailleu­rs n’est pas sans conséquenc­es. «Ils utilisent nos services qui ne sont pas conçus pour desservir tant de monde, explique Karl. Plutôt que d’aller attendre des heures dans les salles d’urgence de Montréal ou de Québec, ils viennent se faire soigner à notre centre de santé. Ou chez notre dentiste, qui est aussi un fly-in, fly-out !» Plus préoccupan­t, les minières seraient moins tentées d’investir dans la ville, d’améliorer les immeubles, les infrastruc­tures, les parcs à cause de cette frange volante de la population qui s’accroît sans cesse. « J’en veux pas aux flyin, fly-out, mais j’en veux aux compagnies qui ont imaginé ce système, proteste l’homme de radio. On a l’impression qu’elles ont oublié qu’avec la mine venait une ville ! »

Je quitte l’appartemen­t 9 de la venelle 7 à regret, sans avoir pu saluer mescolocs. Un vol d’outardes passe, avec leurs cris si caractéris­tiques et si poignants. « On ne fait que passer à Fermont », m’avait dit Geneviève. On y arrive dans la force de la jeunesse, on s’en va quand sonne la retraite, sans se retourner. En sachant que l’adaptation au Sud ne sera pas toujours rose et que tant d’amis vont nous manquer. « Je vais verser une larme en partant d’ici, souffle Diane, j’avais 19 ans quand je suis arrivée dans le Nord. » On passe à Fermont l’instant d’une vie.

Je vais verser une larme en partant d’ici. J’avais 19 ans quand je suis arrivée dans le Nord. DIANE MINVILLE

Me sentir enfermé ici ? Pas le moins du monde. KARL GAGNÉ-CÔTÉ

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PHOTOS VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ET MONIQUE DURAND La ville de Fermont est construite dans une palissade haute de cinq étages, longue de plus d’un kilomètre.Et au pied de ce mur ont poussé des quartiers, des rues. À l’exception des travailleu­rs temporaire­s, la population est composée à 80% de citoyens de moins de 50 ans.
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