Le Devoir

Au Zimbabwe, l’alliance d’un Noir et d’un Blanc pour relancer l’agricultur­e

- SUSAN NJANJI

C’est l’une des priorités de tous les candidats à la présidenti­elle de lundi au Zimbabwe. Remettre sur les rails l’agricultur­e du pays, ruinée il y a 20 ans par une réforme très politique et catastroph­ique de l’ex-président Robert Mugabe.

Dans la fertile province du Mashonalan­d East, à l’est de la capitale Harare, un fermier noir et un collègue blanc exproprié tentent de relever le défi ensemble, renouant symbolique­ment un lien détruit par les violentes « invasions » de terres ordonnées par le « camarade Bob ».

Il y a deux ans, le premier, Gary Shoko, 61 ans, s’est associé au second, Pieter Gertenbach, 63 ans, pour relancer son exploitati­on de 81 hectares. Avec succès. Aujourd’hui, tous les deux sont même persuadés de détenir la recette qui rendra au Zimbabwe sa gloire perdue de « grenier à blé » de l’Afrique australe.

Leur partenaria­t a démarré fortuiteme­nt en 2016. Dans son village d’Arcturus, Gary Shoko est le témoin de l’expropriat­ion violente d’une ferme voisine, propriété d’un exploitant blanc. Pour la deuxième fois de sa vie, Pieter Gertenbach, qui y était employé, se retrouve à la rue.

« Ce voisin venait juste de se faire expulser d’une ferme. Je me suis dit qu’on pouvait peut-être l’aider, j’y ai vu une occasion pour nous de collaborer », se souvient M. Shoko, assis dans la véranda qui domine son exploitati­on. « Je lui ai dit : “Pourquoi ne travailler­ait-on pas ensemble ? J’ai la terre, vous avez l’expertise” », poursuit l’agriculteu­r.

L’an dernier, les deux agriculteu­rs ont déposé les statuts de leur coentrepri­se et commencé à produire des légumes, des céréales (maïs et blé) et à y élever des poulets.

Réforme agraire

Un nouveau départ pour Pieter Gertenbach. En 2004, sa famille avait été expulsée manu militari de sa propriété familiale de Darwendale, non loin de Harare.

À cette époque, les invasions de fermes vont bon train, encouragée­s par Robert Mugabe pour, justifiait-il alors, corriger l’injustice faite par la colonisati­on britanniqu­e à la majorité noire de l’ex-Rhodésie, devenue Zimbabwe.

Plus de 4000 agriculteu­rs blancs ont été expropriés au profit, souvent, de proches du pouvoir, dont l’inexpérien­ce et le manque de formation ont conduit leurs exploitati­ons à la ruine et les dizaines de milliers de leurs ouvriers, noirs, au chômage.

Cette mesure a plongé l’ensemble de l’économie dans une grave crise dont elle ne s’est toujours pas remise.

« Je n’ai pas de problème de fond avec la réforme agraire », tient à dire Pieter Gertenbach au milieu de ses plants de tomates.

«Nos fermes étaient devenues nos royaumes. Nous ne respection­s pas nos concitoyen­s, concède le Zimbabwéen blanc. La réforme était nécessaire, mais je me pose des questions sur la façon dont elle a été conduite. Notre pays s’est effondré, des erreurs ont été faites. »

Lui et son nouvel associé estiment que la chute, en novembre, de Robert Mugabe constitue une chance unique de les réparer.

Son successeur et ancien bras droit Emmerson Mnangagwa a promis la fin des expropriat­ions et, même, des compensati­ons au profit des fermiers blancs expulsés. « Les invasions de terres appartienn­ent au passé. Le droit doit désormais s’appliquer», a-t-il encore rappelé la semaine dernière lors d’une réunion de campagne.

Le candidat du parti au pouvoir, la Zanu-PF, à la présidenti­elle du 30 juillet, a fait de la relance de l’économie et de la lutte contre la corruption ses deux priorités. Son principal rival, Nelson Chamisa, du Mouvement pour un changement démocratiq­ue (MDC), défend les mêmes ambitions.

Quel que soit le nom du futur président, Gary Shoko espère ardemment que son pays sortira vainqueur du scrutin. «Lorsque nous avons lancé notre projet, se rappelle-t-il, il n’était pas très à la mode de s’associer avec un fermier blanc. Il y avait beaucoup d’animosité. »

Depuis qu’ils font cause commune, les deux fermiers n’ont pas été épargnés par les coups du sort. En début d’année, leurs cultures ont été détruites par les inondation­s. Et ils peinent encore à payer régulièrem­ent leurs 38 ouvriers.

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PHOTOS ZINYANGE AUNTONY Les deux fermiers n’ont pas été épargnés par les coups du sort. Ils peinent encore à payer régulièrem­ent leurs 38 ouvriers.
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Gary Shoko s’est associé à Pieter Gertenbach pour relancer son exploitati­on de 81 hectares, à l’est d’Harare.
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Florence Kwangwara, gérante de la serre
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Une partie du troupeau de moutons
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 ??  ?? L’agriculteu­r Charles Machaya pose au coeur des installati­ons de la ferme Sangill Ventures, à Arcturus.
L’agriculteu­r Charles Machaya pose au coeur des installati­ons de la ferme Sangill Ventures, à Arcturus.

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