Les aberrations de la rectitude
On a constaté depuis quelques années que la langue de bois s’est introduite dans le discours de nos politiciens. Pour éviter les pièges médiatiques, parler pour ne rien dire est devenu la norme en politique. Cette approche s’apparente à une forme d’autocensure que s’imposent les personnalités publiques pour ne pas se perdre dans les dédales des sujets controversés touchés par la rectitude.
Même en privé, dans les conversations entre amis, nous mettons souvent des gants blancs ou noirs selon le cas, pour discuter de certains sujets. Si quelqu’un ose outrepasser la frontière du convenu dans ses propos, il précisera qu’il se le permet dans l’intimité, et que jamais il n’oserait le faire dans la sphère publique de peur d’être ostracisé par les bien-pensants d’un consensus artificiel à la mode.
Voilà maintenant qu’au nom du concept flou de l’appropriation culturelle, cette forme de censure touche le milieu théâtral. Robert Lepage, ce créateur respectueux de toutes les minorités visibles ou invisibles, a dû annuler deux de ses pièces qui sont tombées sous le couperet de la rectitude artistique. Pour certains, les formes d’art devraient s’exprimer strictement par ceux et celles qui sont représentés dans l’oeuvre présentée. Cette approche de ghettoïsation ne risquet-elle pas d’enfermer la vie artistique dans un folklore qui se priverait de l’oxygène extérieur nécessaire à l’évolution de la création ?
Plus récemment, certains censeurs ont également envahi le territoire littéraire. Pour eux, certains thèmes ne devraient plus se retrouver dans les oeuvres romanesques : décrire un viol serait un sujet inapproprié pour un auteur. Où va s’arrêter cette rectitude qui touche de plein fouet la liberté de créer ? Qui osera dire que les aberrations découlant du penser vrai ne sont que des dérives d’un désir d’enfermer la société dans une nouvelle ère de censure et de conservatisme de la pensée ? Marcel Perron Neuville, le 27 juillet 2018