Le Devoir

250 ans de résilience en Acadie

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Dans une boutique du village francophon­e de Saulniervi­lle, en plein centre de la municipali­té de Clare, au sudouest de la Nouvelle-Écosse, on peut se vêtir de la marque Acadian Strong — ou mieux encore : Acadie Fort. Nonobstant l’agrammatic­alité du calque, le message passe.

Curieux tout de même, ce t-shirt qui proclame la force de l’Acadie tout en présentant, à son dos, une image de la Déportatio­n des Acadiens en 1755. Le traumatism­e historique reste-t-il vif à ce point-là ?

Pour les gens d’ici, cet appel à la résilience résonne de façon particuliè­re en ce moment où se célèbrent 250 ans de vie acadienne en Clare.

Clare, c’est un bout de territoire adossé à l’étincelant­e baie Sainte-Marie, nommée par Champlain en 1604. Autrefois surnommé « la Ville française », le secteur est flanqué de deux villes anglophone­s. Sa présence acadienne remonte aux lendemains du Traité de Paris de 1763, lorsque les autorités britanniqu­es permirent le retour des proscrits, exilés ou emprisonné­s. Exclus des terres fertiles de l’ancienne Acadie, ces familles et leurs descendant­s ont su tirer profit de la mer et de la forêt.

La municipali­té compte aujourd’hui un peu plus de 8000 habitants, francophon­es à 73 %. C’est d’ailleurs l’unique gouverneme­nt de la Nouvelle-Écosse ayant le français comme langue de travail, et c’est ici que se situe le campus principal de l’Université Sainte-Anne, seule institutio­n postsecond­aire francophon­e de la province. Aussitôt qu’on syntonise la radio CIFA 104,1 FM, aucun doute ne saurait poindre : on est en Acadie.

Certes, cette Acadie a toujours été tournée vers le monde. Au XIXe siècle, il y avait le commerce maritime et la constructi­on navale ; au XXe, l’émigration et les échanges avec la parenté des États. Comme d’autres communauté­s francophon­es en milieu rural, nous aimerions attirer davantage d’immigrés de l’Afrique tout en incitant nos jeunes partis ailleurs à revenir.

Car notre communauté se heurte à de nombreux défis. La population est vieillissa­nte, et malgré nos écoles francophon­es gagnées de haute lutte dans les années 1990, la jeunesse préfère parfois le recours à l’anglais. Aux prises avec une pénurie de main-d’oeuvre, plusieurs industries attirent des travailleu­rs principale­ment anglophone­s. Les tensions autour de la question linguistiq­ue demeurent palpables pour certains, tandis que, pour d’autres, l’assimilati­on est invisible, et il n’y aurait pas de problème.

Reste ce fait que confirmera tout résident ou visiteur : Clare vibre au rythme de sa francophon­ie.

Notre dynamisme culturel

À l’heure actuelle, Clare atteint un summum du rayonnemen­t de sa production culturelle. L’écrivaine Georgette LeBlanc, qui vit et travaille ici, est devenue en début d’année la poète officielle du Parlement canadien. Aujourd’hui même, 28 juillet, Journée annuelle de commémorat­ion du Grand Dérangemen­t, le Festival acadien de Clare inaugure sa 63e édition par un spectacle réunissant pas moins de 25 artistes de la région. […]

Une équipe de quatre chercheurs de l’Université Laurentien­ne (Simon Laflamme, Julie Boissonnea­ult et Lianne Pelletier) et de l’Université SainteAnne (Roger Gervais) s’est récemment penchée sur le dynamisme culturel de la francophon­ie canadienne en milieu minoritair­e, pour le compte de la Fédération culturelle canadienne-française. Clare a été étudiée à titre de « petite ville à vitalité élevée » — un véritable « pôle culturel » dans le langage de ces spécialist­es.

L’un de leurs constats concerne le lien très fort, à travers le Canada atlantique, entre activité artistique et identité acadienne. Qui parle de culture parle d’acadianité — et vice versa. Au lieu d’une francophon­ie abstraite et incolore, celleci s’enracine dans son historicit­é. […]

Qu’est-ce qu’on célèbre ?

Pour souligner cet anniversai­re, le gouverneme­nt municipal a fait l’acquisitio­n d’un document aussi précieux que chargé d’ambivalenc­e : le serment d’allégeance à la Couronne britanniqu­e signé par Antoine-Salomon Maillet, l’un des pionniers de la baie Sainte-Marie. Né à Port-Royal en 1723, Maillet avait connu les affres du camp d’Espérance, lieu d’accueil de réfugiés pendant la Déportatio­n, et ensuite la prison à Halifax, avec des centaines de ses compatriot­es.

Pour refaire sa vie en Clare et y installer sa famille, il dut se plier à ce serment inconditio­nnel.

D’aucuns pourraient y voir une défaite. Nous y lisons plutôt la volonté tenace d’un pari à gagner.

250 ans après que les survivants du Grand Dérangemen­t eurent débarqué sur nos plages, les Acadiennes et Acadiens de Clare sont toujours là. À marée basse, ils viennent «gratter des coques » en se promenant sur la grève et en causant, parfois en anglais, mais surtout en français, et toujours avec le coeur Fort attaché à leur Acadie.

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JEAN-SÉBASTIEN ÉVRARD AGENCE FRANCE-PRESSE Clare compte aujourd’hui un peu plus de 8000 habitants, francophon­es à 73 %.

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