Le Devoir

Oakland mon amour

Un joyeux mélange de drame, de comédie et d’insolence pour une ville en transforma­tion

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Vous connaissez Oakland? Vous y avez déjà mis les pieds? On entend déjà le bruit des criquets…

Longtemps négligée et oubliée, cette ville en périphérie de San Francisco n’a pas toujours inspiré les cinéastes, longtemps refuge des musiciens et des peintres, aujourd’hui en pleine transforma­tion (lire: embourgeoi­sement accéléré). Cette tension était déjà palpable dans un autre film récent tourné à Oakland, Sorry to Bother You, de Boots Riley, et apparaît centrale dans Blindspott­ing, le premier long métrage de Carlos Lopez Estrada.

Une de ses principale­s tâches fut sans doute de canaliser l’énergie foisonnant­e de Daveed Diggs et Rafael Casal, à la fois scénariste­s, vedettes et amis de longue date à la base de cette étonnante lettre d’amour à leur ville d’origine. Et qu’ils ne semblent plus reconnaîtr­e.

Cet enjeu bien actuel s’imbriquent avec plusieurs autres dans ce véritable carrefour d’intrigues, de tons et d’outrances,

On pourrait reprocher à Blindspott­ing son caractère décousu, mais c’est justement là sa force, sa pertinence, son énergie dévorante

se moquant de la superficia­lité des hipsters, dénonçant la violence policière (surtout à l’égard des Noirs), mais aussi celle provoquée par la libre circulatio­n des armes à feu… ou encore le coût astronomiq­ue des boissons vertes!

Rien de mieux d’ailleurs que deux déménageur­s pour ratisser tous les coins, et ainsi saisir la mesure du changement; Collin (Daveed Diggs, révélé par la comédie musicale Hamilton, ici drôle et sensible) et Miles (Rafael Casal, d’une vitalité à tout casser) n’en finissent d’ailleurs plus de s’indigner, de s’émouvoir ou simplement de hausser les épaules.

Collin affiche aussi d’autres préoccupat­ions: à quelques jours de la fin de sa probation judiciaire, il se veut irréprocha­ble, mais avec Miles à ses côtés, c’est l’équivalent d’une grenade déverrouil­lée tant cet ami d’enfance apparaît impulsif et irresponsa­ble. Témoin malgré lui d’une atroce bavure policière deux jours plus tôt, Collin est tiraillé entre sa propre survie et son silence coupable devant une telle injustice. Miles, lui, multiplie les insolences, n’ayant pas toujours payé le juste prix pour leur gravité, autre chose qui lie les deux amis, mystère savamment entretenu pendant une bonne partie du récit.

On pourrait reprocher à Blindspott­ing son caractère décousu, mais c’est justement là sa force, sa pertinence, son énergie dévorante. Devant nous s’étalent les singularit­és et les vicissitud­es d’un quartier et de sa faune, de jour comme de nuit, dans ses recoins les plus sordides et ses rues les plus animées, souvent tapissées de graffitis colorés. Comme sur un fil de fer, entre des pitreries dignes du cinéma pour adolescent­s et des situations dramatique­s au ton acidulé piquées à certains des meilleurs Spike Lee (Do the Right Thing nous revient en mémoire, même si la comparaiso­n pourra sembler hasardeuse), Blindspott­ing dresse un constat amusé, léger, mais où les accès de colère ne sont pas interdits.

Voici donc Oakland avec toutes ses contradict­ions, caisse de résonance d’une société plus que jamais fracturée par les tensions raciales, sociales et économique­s (nos deux déménageur­s participen­t bien malgré à eux à l’invasion bourgeoise). Prêchi-prêcha que tout cela? Non seulement Blindspott­ing refuse les solutions toutes faites, mais aussi tout esprit vengeur, exposant certaines réalités douloureus­es tout en injectant à l’affaire une bonne dose d’euphorie contagieus­e.

Blindspott­ing

★★★★

Comédie dramatique de Carlos Lopez Estrada. Avec Daveed Diggs, Rafael Casal, Janina Gavankar, Jasmine Cephas Jones. États-Unis, 2018, 95 minutes.

 ?? LIONSGATE ?? Rien de mieux que deux déménageur­s pour ratisser tous les coins d’Oakland, et ainsi saisir la mesure du changement ; Collin (Daveed Diggs, ici drôle et sensible) et Miles (Rafael Casal, d’une vitalité à tout casser) n’en finissent plus de s’indigner,...
LIONSGATE Rien de mieux que deux déménageur­s pour ratisser tous les coins d’Oakland, et ainsi saisir la mesure du changement ; Collin (Daveed Diggs, ici drôle et sensible) et Miles (Rafael Casal, d’une vitalité à tout casser) n’en finissent plus de s’indigner,...

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