Les petites filles modèles
Vivian Qu s’intéresse à la condition féminine et à la corruption en Chine
Sur une plage, une statue géante à l’effigie de Marilyn Monroe attire de jeunes filles qui se prennent en photo avec des moues aguichantes. L’une d’elles, Mia (Wen Qi, excellente), se tient l’écart et prend plutôt des photos de la robe d’un blanc virginal avec laquelle la star dévoilait ses charmes dans une scène anthologique de Sept ans de réflexion (1955), de Billy Wilder.
Dès cette scène aux accents oniriques, bellement croquée par Benoît Delvaux, cadreur et directeur photo des Dardenne, la cinéaste Vivian Qu (Trap Street) installe délicatement cette histoire d’agression sexuelle en morcelant ce corps féminin, que l’on voit peu dans son entièreté, offert aux yeux de tous. De cette façon, la metteure en scène dénonce l’objectivisation de la femme et annonce la fragmentation du récit dont elle ne livre pas tous les morceaux.
Mineure sans papiers travaillant dans un motel d’une station balnéaire, Mia reçoit plus tard la visite de deux filles de 11 ans vêtues de robes matelot, Wen (Zhou Meijun) et Xin (Jiang Xinyue), qui s’échangent une perruque blonde en gloussant. Les petites sont accompagnées d’un homme d’âge mûr, Liu (Weiwei Liu), haut gradé de la police, qui loue deux chambres, l’une pour les fillettes, l’autre pour lui. Par une caméra de surveillance, Mia est témoin dans la soirée de l’agression sexuelle de Wen et Xin par Liu. D’instinct, elle filme la scène avec son téléphone.
Par pudeur et pour étoffer le mystère, Vivian Qu ne nous montre que l’entrée de l’agresseur dans la chambre de ses jeunes victimes. Naïves et innocentes, ces dernières ne comprennent pas certaines questions posées par l’enquêteur Wang (Li Mengnan) et les médecins; elles ignorent même ce qu’est l’hymen. Craignant de perdre son emploi, Mia hésite à confier à l’avocate des victimes, Hao (Shi Ke),
La scénariste-réalisatrice dépeint un inquiétant tableau de la Chine moderne où la virginité a une valeur marchande
l’enregistrement de la preuve — le contenu des caméras de surveillance ayant été effacé par le louche propriétaire du motel (Bamboo Chen).
Tandis qu’elle dévoile patiemment tous les rouages d’un système corrompu à la moelle, la misogynie découlant du rigide modèle patriarcal et le lourd héritage de la religion, la scénariste-réalisatrice dépeint un inquiétant tableau de la Chine moderne où la virginité a une valeur marchande. Alors que l’avocate lutte pour faire éclater la vérité, les mères souhaitent taire celleci par peur de voir la réputation de leurs filles entachée. Pendant ce temps, Mia est victime des machinations d’une collègue, Lily (Jing Peng), dont l’unique but est de plaire à Jian (Wang Yuexin), son petit-ami malhonnête, qui voudra aussi exploiter Mia.
Malgré les revirements choquants et la tournure glauque que prend Les anges portent du blanc, il y a une lueur d’espoir dans cette scène finale où la statue de Marilyn Monroe semble indiquer à Mia le chemin de la rédemption. Abordant de plein fouet la corruption policière et ses conséquences dans les cas de délits sexuels, Vivian Qu signe un drame d’une rare finesse sur la condition féminine d’où émanent une prenante mélancolie et des élans de poésie salvatrice.
Les anges portent du blanc (V.O., s.-t.f. de Jia nian hua)
★★★ 1/2
Drame de Vivian Qu. Avec Wen Qi, Shi Ke, Zhou Meijun, Jiang Xinyue, Jing Peng, Wang Yuexin, Li Mengnan, Weiwei Liu et Bamboo Chen. Chine, 2017, 107 minutes.