Robert Lepage traque les métaphores de Mozart
Le metteur en scène s’attaque à l’un des opéras favoris à l’international, La flûte enchantée
Qui est la Reine de la nuit dans la tête de Mozart? Qui est Monostatos et qui est Sarastro? Ces questions ont taraudé Robert Lepage lors de la conception de La flûte enchantée, rendez-vous phare de notre été classique et affiche majeure du Festival d’opéra de Québec, donnée en première mardi.
Cette Flûte enchantée, présentée également les 2, 4 et 6 août au Grand Théâtre de Québec, a-t-elle pâti des tumultes récents autour du metteur en scène? Robert Lepage avait-il donc la tête à cela, entre SLĀV et Kanata ? Même s’il était convenu que nous parlerions, lors de cet entretien pour Le Devoir, la semaine dernière, de Mozart et rien que de Mozart, Robert Lepage avoue, « dès les débuts des répétitions au Grand Théâtre», s’être coupé du reste du monde: «J’ai développé depuis le temps un réflexe; j’ai comme des clapets dans la tête. Je travaille sur un projet et quand je vais travailler sur un autre, même si c’est dans la même journée, j’arrive à fermer ces clapets. Je parviens ainsi à ériger des murs entre les projets pour protéger les collaborateurs et les artistes qui y participent.»
Les polémiques n’ont pas non plus perturbé l’échéancier. Et pour cause:
comme cette Flûte enchantée se retrouvera sur la scène du Metropolitan Opera dans le futur, le projet est en gestation depuis plus de deux ans. «Au moment de rentrer au Grand Théâtre, nous avions derrière nous quatre workshops en deux ans pour développer le concept et préciser les choses. Nous n’attendions que les chanteurs. »
Robert Lepage en profite pour souligner que «la collaboration avec l’Opéra de Québec est unique, car personne n’a le loisir et le luxe d’avoir le plateau pendant un mois pour mettre en scène et répéter». «C’est grâce à notre collaboration avec le Met que nous parvenons à faire ça», se réjouit-il. Cette production ne pourrait donc être vue «si l’on produisait comme on produit ailleurs au Canada, en saison régulière, avec les budgets et les syndicats».
Vaudeville maçonnique
Avec plus de 20 productions documentées en DVD ou Blu-Ray, La flûte enchantée est un des opéras favoris des scènes internationales. Conte parcouru de rites initiatiques, de pensées profondes entachées de préjugés caricaturaux, l’opéra reste énigmatique.
Entre franc-maçonnerie, dont Mozart était adepte, et joyeuse comédie, peu de metteurs en scène ont, aussi uniformément que Jonathan Miller (direction Welser-Möst, Opéra de Zurich), choisi les Lumières jusqu’à l’austérité. «La thématique ésotérique impose une esthétique, même si la plupart des productions que j’ai vues s’en départent », avoue pourtant Robert Lepage. Certains contes n’en sont pas moins merveilleux, par exemple les mises en scène de Julie Taymor au Met (DVD Sony) ou de Benno Besson (Opéra de Paris, direction Ivan Fischer).
Robert Lepage ponctue: «Au départ, j’étais au fait que c’était une oeuvre maçonnique, mais aussi une pièce de vaudeville.» Il consent que l’optique «dépend du public auquel on s’adresse» et constate qu’«il n’y a pas eu de Flûte maçonnique au Québec». À ce propos, selon Lepage, sa mise en scène ne remplacera pas la production de Julie Taymor au Met. Les deux coexisteront: l’ancienne, utilisée à vocation familiale dans
Je m’intéresse à la franc-maçonnerie depuis assez longtemps ; les gens qui font partie des loges » à travers l’histoire m’ont toujours intrigué ROBERT LEPAGE
une version en anglais raccourcie, comme à son origine, et la nouvelle en tant que Flûte enchantée intégrale en langue originale avec récitatifs.
Dans son concept, Robert Lepage est allé traquer les parallèles entre l’inspiration de l’oeuvre et le contexte historique. «Je m’intéresse à la franc-maçonnerie depuis assez longtemps; les gens qui font partie des loges à travers l’histoire m’ont toujours intrigué. Ce qui importe ici, c’est la métaphore: qui est la Reine de la nuit dans la tête de Mozart quand il la décrit en rapport avec la franc-maçonnerie?» L’univers dans lequel on évolue est, selon Lepage, à mettre en regard « avec les Lumières, la soif de se libérer des superstitions amenées par l’Église, représentée par Marie Thérèse d’Autriche. Vienne voit un afflux de Prussiens, d’Italiens, de Français qui viennent pour essayer d’entrevoir le monde d’une autre manière, avec une liberté de pensée ».
Robert Lepage imagine bien Marie Thérèse d’Autriche, « qui à l’époque détestait les francs-maçons, et dont le fils était maçon», en Reine de la nuit. «C’est cette partie de l’histoire et de la connaissance qui m’a fascinée. La Flûte est sérieuse par les rites maçonniques, mais c’est un divertissement comique. C’est de l’entertainment. On fournira au public tous les éléments pour le divertir, mais dans un propos de qualité», conclut-il.
Pour habiller l’espace scénique, le concept mise sur «la fantaisie et l’idée de la magie». Soulignant que la traduction littérale de Zauberflöte est Flûte magique, Robert Lepage trouve que ses collègues se sont «rarement forcés sur les sortilèges, les apparitions et disparitions ». « Nous avons fait une recherche sur la magie dans les cabarets à l’époque aux XVIIIe et XIXe siècles et il y a un vocabulaire du black art, discipline où l’on utilise le fait qu’il fait noir sur la scène pour saturer l’oeil du spectateur et faire apparaître et disparaître des choses. »
Avec l’aide d’un spécialiste du black art, Lepage et son équipe ont conçu un spectacle sans technologies, reposant sur de la «magie à l’ancienne». La chose n’a pas manqué de rendre le Metropolitan Opera dubitatif: «Au début, les gens du Met ne croyaient pas au concept.» Habitués au plateau rempli avec grandes structures, ils ont été interloqués face à «un espace vide rempli par de bonnes performances, des images colorées, des lignes de lumière et des costumes extravagants et flamboyants».
Pour les chanteurs, cette Flûte enchantée sera un opéra «qui se chante près de la fosse». La mise en scène sera moins physique que dans The Tempest de Thomas Adès, mais «il y a un code d’apparition et de disparition, des mécaniques d’entrées et de sorties qui doivent être très précis pour que cela fonctionne. C’est là que réside le défi scénique pour les chanteurs».
À Québec, le Sarastro de John Relyea s’opposera à la Reine de la nuit d’Audrey Luna. Gordon Bintner sera Papageno, assistant Frédéric Antoun (Tamino) pour conquérir Simone Osborne (Pamina), dans un spectacle dirigé par Thomas Rösner, à la tête de l’Orchestre symphonique de Québec.