Le Devoir

Un roman phénoménal

- Christian Desmeules

Les propositio­ns narratives audacieuse­s se font rares, il faut le reconnaîtr­e. Et de ce nombre, les réussites sont encore moins nombreuses.

Ce sera tout, premier roman de Michel Gay, possède au moins l’audace : il est à moitié formé de notes de bas de page où le narrateur tour à tour précise, embrouille ou désamorce son propre récit principal — particuliè­rement mince. Des notes elles-mêmes commentées par l’éditeur, son adjoint ou des «inconnus», au point de prendre la forme d’une sorte de long combat entre l’auteur (ou « ze auteur », comme il est souvent appelé, sans que l’on comprenne ce que cela signifie vraiment) et les multiples commentate­urs intempesti­fs de son oeuvre.

Pour qui a déjà lu le tour de force qu’est Feu pâle de Nabokov, poème inventé cannibalis­é par un commentate­ur tout aussi fictif, les élucubrati­ons formaliste­s de Michel Gay, né en 1949, qui a longtemps travaillé dans le milieu du livre (Fides, l’UNEQ), paraîtront bien… pâles.

Au coeur de cette métafictio­n — ou forme d’écriture autoréfére­ntielle : un homme qui entreprend d’écrire un «roman» sans vraiment y croire. Seule une escapade à Cape Cod, où se lisent en biais les traces décolorées d’une histoire d’amour fantomatiq­ue entre le narrateur et une femme, nous offre l’occasion de petits éclairs de poésie.

Le résultat? Un récit sans fluidité, qui fait du sur-place à coups d’incises, de digression­s, de commentair­es sur les commentair­es, de remplissag­e et de facilités. Un livre sur rien qui dit peu de chose, semblant même frôler l’écriture automatiqu­e. Une provocante logorrhée sans queue ni tête où le narrateur ne nourrit pas d’illusions au sujet de son «simulacre de roman».

De futiles sparages littéraire­s où les plus optimistes sauront peut-être déceler l’ombre d’une critique sur le monde. «Pourquoi écrit-on et pourquoi écrire un roman?» se demande l’«auteur». Le mystère restera entier.

À sa manière, vous l’aurez compris, Ce sera tout est un livre phénoménal — autant l’auteur que l’éditeur semblent avoir gratté jusqu’au sang leurs fonds de tiroir. Une expérience qui laisse surtout espérer que le titre du roman est aussi une promesse. Imbuvable.

 ??  ?? Ce sera tout ★★
Michel Gay, Vlb éditeur, Montréal, 2018, 168 pages
Ce sera tout ★★ Michel Gay, Vlb éditeur, Montréal, 2018, 168 pages

Newspapers in French

Newspapers from Canada