Un roman phénoménal
Les propositions narratives audacieuses se font rares, il faut le reconnaître. Et de ce nombre, les réussites sont encore moins nombreuses.
Ce sera tout, premier roman de Michel Gay, possède au moins l’audace : il est à moitié formé de notes de bas de page où le narrateur tour à tour précise, embrouille ou désamorce son propre récit principal — particulièrement mince. Des notes elles-mêmes commentées par l’éditeur, son adjoint ou des «inconnus», au point de prendre la forme d’une sorte de long combat entre l’auteur (ou « ze auteur », comme il est souvent appelé, sans que l’on comprenne ce que cela signifie vraiment) et les multiples commentateurs intempestifs de son oeuvre.
Pour qui a déjà lu le tour de force qu’est Feu pâle de Nabokov, poème inventé cannibalisé par un commentateur tout aussi fictif, les élucubrations formalistes de Michel Gay, né en 1949, qui a longtemps travaillé dans le milieu du livre (Fides, l’UNEQ), paraîtront bien… pâles.
Au coeur de cette métafiction — ou forme d’écriture autoréférentielle : un homme qui entreprend d’écrire un «roman» sans vraiment y croire. Seule une escapade à Cape Cod, où se lisent en biais les traces décolorées d’une histoire d’amour fantomatique entre le narrateur et une femme, nous offre l’occasion de petits éclairs de poésie.
Le résultat? Un récit sans fluidité, qui fait du sur-place à coups d’incises, de digressions, de commentaires sur les commentaires, de remplissage et de facilités. Un livre sur rien qui dit peu de chose, semblant même frôler l’écriture automatique. Une provocante logorrhée sans queue ni tête où le narrateur ne nourrit pas d’illusions au sujet de son «simulacre de roman».
De futiles sparages littéraires où les plus optimistes sauront peut-être déceler l’ombre d’une critique sur le monde. «Pourquoi écrit-on et pourquoi écrire un roman?» se demande l’«auteur». Le mystère restera entier.
À sa manière, vous l’aurez compris, Ce sera tout est un livre phénoménal — autant l’auteur que l’éditeur semblent avoir gratté jusqu’au sang leurs fonds de tiroir. Une expérience qui laisse surtout espérer que le titre du roman est aussi une promesse. Imbuvable.