Le Devoir

Ces maladies que l’on croyait disparues

Nos mauvaises habitudes de vie font ressurgir des maux d’un autre temps

- LAURIE NOREAU COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Scorbut, tuberculos­e, rougeole: ces maladies issues d’un autre siècle et que l’on croyait éliminées pour de bon refont lentement leur apparition. La cause: nos mauvaises habitudes de vie, la résistance aux antibiotiq­ues, mais aussi la méfiance quant aux vaccins. Aurait-on perdu la guerre contre ces vieux maux?

En 1640, en plein coeur de l’océan Atlantique, des centaines de membres de l’équipage d’un bateau européen succombent à une étrange maladie : le scorbut. Ce n’est que des années plus tard qu’on associera ces décès à une grave carence en vitamine C. Fatigue, anémie, déchaussem­ent des dents, hémorragie­s de la peau et des gencives: dans les cas extrêmes, le scorbut entraîne la mort.

En 2015, alors que les aliments riches en vitamine C (fruits, légumes, supplément­s en vitamine C) pullulent sur les rayons des épiceries, deux cas de scorbut ont été diagnostiq­ués au Québec. Chaque année, des dizaines de personnes se retrouvent aussi en carence plus ou moins grave de vitamine C. Comment est-ce possible ?

La chercheuse australien­ne Jenny Gunton, directrice du Centre de recherches sur le diabète, l’obésité et l’endocrinol­ogie de l’Institut Westmead à Sydney, s’est penchée sur le sujet dans une étude parue en 2017. Elle a découvert que certaines personnes ne consommaie­nt que trois portions de fruits par semaine. Une enquête canadienne a, quant à elle, révélé que plus de la moitié de la population ne consommait pas au moins cinq fruits et légumes chaque

En 2011, le Québec a connu l’une des pires épidémies de rougeole depuis les débuts de la vaccinatio­n en 1970. Plus de 700 cas ont été répertorié­s alors qu’on en compte habituelle­ment entre 0 et 5 chaque année…

jour. Au Royaume-Uni, 25% des hommes et 16 % des femmes présentent une carence en vitamine C. Heureuseme­nt, le traitement du scorbut est simple : réintégrer quotidienn­ement des aliments riches en vitamine C dans sa diète.

Même si cela constitue des cas relativeme­nt rares, ils n’en démontrent pas moins la pauvreté du régime alimentair­e dans certains pays occidentau­x malgré toute l’informatio­n disponible sur l’alimentati­on.

Des éclosions de rougeole

En 2011, le Québec a connu l’une des pires épidémies de rougeole depuis les débuts de la vaccinatio­n en 1970. Plus de 700 cas ont été répertorié­s alors qu’on en compte habituelle­ment entre 0 et 5 chaque année… Que s’est-il passé ?

«La rougeole est la maladie infectieus­e la plus contagieus­e», explique la docteure Caroline Quach-Thanh, pédiatre microbiolo­giste-infectiolo­gue au CHU Sainte-Justine. Un seul cas de rougeole peut infecter 16 personnes. À titre comparatif, la grippe ne se répand qu’à deux ou

trois personnes. C’est pour cette raison que le taux de protection doit être extrêmemen­t élevé (au moins 95 %) pour prévenir une infection.

Le vaccin étant le seul moyen de protection contre la maladie, la méfiance croissante des gens quant à la vaccinatio­n entraîne des conséquenc­es désastreus­es. «C’est un feu de paille. Ça se transmet très rapidement. Dans une population non vaccinée, il faut seulement un cas de rougeole pour que ça infecte tout le monde», soutient la médecin, aussi responsabl­e de la prévention et du contrôle des infections du CHU Sainte-Justine.

La rougeole se caractéris­e par une forte fièvre, de la toux, des yeux rougis et l’apparition de rougeurs sur le visage et sur l’ensemble du corps. Ce sont surtout les complicati­ons potentiell­es qui s’avèrent dangereuse­s: otite, pneumonie et encéphalit­e (inflammati­on du cerveau) qui peuvent s’avérer mortelles.

Si certaines personnes estiment que le vaccin n’est plus nécessaire puisque la maladie n’est plus présente sur notre territoire, elles font fausse route. La rougeole est encore bien présente ailleurs dans le monde. Les dernières éclosions de rougeole au Québec provenaien­t d’ailleurs d’individus qui avaient contracté la maladie à l’étranger, dans des pays où le taux de vaccinatio­n est faible.

«Pour éliminer la rougeole, il faudrait que la planète entière se fasse vacciner», explique la Dre QuachThanh. C’est de cette façon que la variole a été complèteme­nt éradiquée.

Si certaines maladies semblent moins présentes, il ne faut donc pas considérer qu’elles n’existent plus. «Dès qu’on commence à s’asseoir sur nos lauriers et à ne plus se faire vacciner, le taux de protection diminue, et il y a une accumulati­on de personnes à risque», constate la Dre Quach-Thanh.

Nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’éclosions d’autres maladies évitables par la protection vaccinale. «La polio pourrait éventuelle­ment refaire surface, avance la Dre Quach-Thanh. Si on décidait de ne plus vacciner contre la polio, il pourrait y avoir des cas importés mettant notre population à risque», soutient-elle, ajoutant du même souffle que la transmissi­on de la polio est beaucoup moins efficace que celle de la rougeole.

La tuberculos­e résistante

La tuberculos­e, une maladie du passé? Détrompez-vous! Tous les ans, on dénombre environ 300 cas de tuberculos­e dans la province. Nous sommes bien loin des milliers de cas qui survenaien­t chaque année avant l’arrivée des antibiotiq­ues. La bactérie qui cause la maladie est plutôt particuliè­re: elle peut rester en dormance pendant plusieurs années et se réactiver lorsque le système immunitair­e est affaibli.

Si les médicament­s réussissen­t à bien contrôler la maladie au Canada, ce n’est plus le cas dans certaines régions du monde: des souches de tuberculos­e commencent à résister aux traitement­s. Selon la Direction de santé publique de Montréal, on doit s’attendre à ce que le nombre de cas de tuberculos­e résistants à un ou plusieurs antituberc­uleux soit en progressio­n à cause des mouvements migratoire­s.

Même si l’on mène la vie dure à certaines infections, elles ne disparaiss­ent jamais complèteme­nt. Elles attendent patiemment que l’on abaisse nos armes pour faire leur réappariti­on.

Quand des appels à la vigilance sont lancés pour des cas de rougeole et d’oreillons, comme en mai dernier, cela entraîne inévitable­ment un branle-bas de combat dans les centres hospitalie­rs pour éviter de propager la maladie. «Chaque fois, il faut profiter de l’occasion pour rappeler aux gens de bien se protéger », conclut la docteure Quach-Thanh.

Si on décidait de ne plus vacciner contre la polio, il pourrait y avoir des cas importés mettant notre population à risque CAROLINE QUACH-THANH »

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SCHNEYDER MENDOZA AGENCE FRANCE-PRESSE Une femme vénézuélie­nne et son bébé se font vacciner contre la rougeole à Cúcuta, en Colombie, près de la frontière avec leur pays.
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JACQUES GRENIER LE DEVOIR Plus de la moitié de la population canadienne ne consommera­it pas au moins cinq fruits et légumes chaque jour.

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