Le Devoir, « dehors ! »
27 juin 1958 : les courriéristes parlementaires convergent vers le bureau du premier ministre pour la « dictée du vendredi » de Maurice Duplessis. Le jeune journaliste Guy Lamarche remplace pour l’occasion son confrère Pierre Laporte. Avant d’amorcer son monologue, M. Duplessis balaie du regard les scribes entassés devant lui. « Qui est-ce que vous représentez, vous ? » lâche-t-il, regardant droit dans les yeux l’étranger. « Vous ne me connaissez pas, M. Duplessis, je suis Guy Lamarche, du Devoir. » Stupéfait, le chef du gouvernement unioniste retire la main qu’il avait tendue vers le débutant. « Dehors, dehors, tout de suite ! », lance le « cheuf » échaudé par le scandale du gaz naturel mis au jour par Le Devoir. Il demande qu’on appelle la police pour expulser « l’effronté ». Lamarche reste immobile. Le chauffeur du premier ministre, dont les épaules sont aussi larges que le cadre de la porte, le chasse. « Il prend une solide (oh oui !) poigne au bras du reporter », relate Lamarche en parlant de lui-même, « et, le soulevant presque, l’entraîne hors du bureau […] sur le bout des pieds. » Le premier ministre Daniel Johnson, lui, reçoit un peu tout le monde dans l’antichambre du pouvoir. « Quand il rencontrait des gens dans des réunions, il leur disait : “Si vous passez à Québec, venez me saluer !” à la bonne franquette. Il y a des gens qui prenaient ça au sérieux et qui se présentaient au bureau du premier ministre en disant : “Bien, je l’ai vu il y a trois semaines, il est venu à tel endroit, il m’a dit de venir le saluer en passant. C’est ce que je viens faire” », raconte Claude Morin, un sourire dans la voix.