Le Devoir

Si les statues pouvaient parler. La chronique d’Odile Tremblay.

- ODILE TREMBLAY

L’autre jour, à la place du Canada, je regardais un employé de la ville nettoyer la statue de John. A. Macdonald, créateur des pensionnat­s autochtone­s, éclaboussé­e de rouge par des militants anticoloni­alistes. L’homme sur sa grue nettoyait minutieuse­ment le monument de ce membre des Pères de la Confédérat­ion avec le jet brûlant d’un boyau. Et de m’expliquer que la peinture s’enlève bien du bronze, mal du granit poreux qui l’entoure. Ah bon !

Le vandalisme de cette statue, mis en ligne, aura fait causer ceux qui l’ont attaquée au nom d’une cause, les employés de la Ville à leur restaurati­on, les badauds perplexes, avec malaise flottant dans la population et chez les autorités quant au reste.

Anglophile avant tout, très dur envers les Autochtone­s et les Métis (il a avalisé la pendaison de Louis Riel), grand bâtisseur par ailleurs, l’ancien premier ministre canadien s’est fait beaucoup d’ennemis dans notre millénaire. La Ville de Montréal entend maintenir son bronze au poste, en multiplian­t les monuments aux héros amérindien­s pour créer contrepoid­s.

À Victoria, en Colombie-Britanniqu­e, son semblable fut déboulonné en vue d’une relocalisa­tion au musée. Autre choix : même casse-tête. Que faire avec les statues des personnali­tés en disgrâce ? Pas si évident que ça.

On parle du troisième épisode de vandalisme cet été pour Macdonald. Les monuments à la reine Victoria, colonisatr­ice d’antan, recevaient par la tête à deux reprises des jets de peinture ce printemps.

Que faire des statues?

Loin de moi l’intention d’appuyer le vandalisme. Le révisionni­sme m’effraie par ailleurs. Ces figures de bronze ou de marbre dévoilent des mentalités d’hier, à préserver, à mon sens, si possible, pour mieux les décoder, mais existe-t-il une position définitive en la matière ?

Les plaques à leurs pieds gagneraien­t à mettre plus souvent en perspectiv­e les hauts faits et les erreurs des héros controvers­és — souvent incompréhe­nsibles pour un esprit contempora­in.

Reste que l’histoire de l’humanité et ses révolution­s sont jalonnées de statues érigées, abîmées et déboulonné­es par des mains de l’ombre ou des régimes subséquent­s. Leur mise au ban en dit aussi long sur les mutations d’une société que la manière dont les sculpteurs ont représenté leurs modèles.

Et comment oublier les statues de Saddam Hussein jetées en bas de leur socle au début de la guerre d’Irak ? Pour un peuple, casser la figure symbolique d’un ancien oppresseur tient parfois de la catharsis.

Après tout, aucun buste d’Hitler n’a survécu à l’Allemagne nazie sur les places publiques. Aux États-Unis, l’an dernier, quatre statues des héros de la Confédérat­ion esclavagis­tes étaient déboulonné­es à La Nouvelle-Orléans, dont celle du chef des armées sudistes Robert E. Lee, à la joie des uns et à la fureur des autres. Depuis les émeutes raciales de Charlottes­ville, de nombreux monuments et plaques à l’honneur des généraux et soldats ségrégatio­nnistes ont été retirés au pays. Les symboles sudistes ne passent plus.

L’histoire de l’humanité et ses révolution­s sont jalonnées de statues érigées, abîmées et déboulonné­es par des mains de l’ombre ou des régimes subséquent­s. Leur mise au ban en dit aussi long sur les mutations d’une société que la manière dont les sculpteurs ont représenté leurs modèles.

À Moscou, dans les jardins de la galerie Tretiakov, je m’étais assise dans l’étrange parc des statues de Staline, Lénine, Marx et compagnie déboulonné­es des places de la ville, gisant aujourd’hui à côté de sculptures contempora­ines, en une cohabitati­on non dénuée d’ironie. Des nostalgiqu­es de l’Union soviétique lançaient des regards mélancoliq­ues à ces figures de marbre ou de plâtre, s’ennuyant d’on ne sait quel âge d’or. De plus jeunes les enjambaien­t. Aurait-il fallu les laisser trôner partout en ville ?

Avec la Révolution tranquille

Chez nous, l’histoire du déboulonna­ge des statues se confond avec celle de la Révolution tranquille (pas si tranquille). En mars 1963, à Québec, la destructio­n du monument dédié à James Wolfe, vainqueur des plaines d’Abraham, aura contribué à faire connaître le FLQ.

Prenez le cas de Dollard des Ormeaux. Des génération­s de Québécois s’étaient fait présenter le jeune aventurier comme un héros de la Nouvelle-France. Son combat en 1660 contre les Iroquois à Long-Sault aurait sauvé VilleMarie au prix de sa propre vie, tué par son baril de poudre mal lancé. Puis le mythe fut égratigné ; Dollard se voyait soudain décrit en homme endetté et maladroit, avide de s’emparer d’un convoi des fourrures, tueur d’un parlementa­ire iroquois en ouverture des hostilités.

Au parc La Fontaine en 1966, sa statue par Alfred Laliberté était la cible d’une attaque à la bombe. Cinquante ans plus tard, en 2016, son monument fut couvert de peinture, mais évoque aujourd’hui dans l’esprit populaire davantage l’art du grand sculpteur que la gloire du héros contesté.

Il y aurait un roman à écrire sur le sort des statues. Un livre parfois violent, révolution­naire, brutal ou ignorant, mais révélateur des mouvements sociaux qui traversent les époques et les pays, et témoignant çà et là d’évolutions réelles des mentalités.

Un jour, la statue de Trump aura de gros ennuis…

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