Maintenant et demain
Les experts en marketing politique ont jugé que la CAQ avait choisi le meilleur slogan. En matière de rentabilité électorale, ils ont sans doute raison.
« Maintenant » ne doit cependant pas devenir une fixation qui ferait oublier demain. Une élection ne consiste pas seulement à choisir un gouvernement qui nous facilitera la vie pendant quatre ans. Elle peut aussi avoir des conséquences à plus long terme.
Depuis un demi-siècle, les Québécois ont toujours pris soin de conserver ce que Robert Bourassa appelait leur « police d’assurance ». Même s’ils ont choisi le Canada à deux reprises, la souveraineté demeurait une possibilité dans l’éventualité où l’appartenance à la fédération canadienne n’offrait pas les conditions nécessaires à leur épanouissement. Dans la mesure où le poids démographique et politique du Québec ira toujours en diminuant, maintenir ces conditions sera de plus en plus difficile.
Pour la première fois, ils semblent disposés à renoncer à cette police d’assurance. Les dernières projections du site Too Close To Call accordent aussi peu que six sièges au PQ et cinq à Québec solidaire. En comparaison, le « champ de ruines » dont Jacques Parizeau parlait en 1994 ressemblait presque à un jardin de roses. La fameuse « refondation » du mouvement souverainiste, à laquelle certains pensent déjà, serait un défi colossal, voire impossible.
Certes, le pire n’est jamais certain, et une campagne de 40 jours peut réserver bien des surprises, mais il n’est pas trop tôt pour commencer à réfléchir « sérieusement » au danger de tout miser sur l’immédiat.
Lors de la fondation de la CAQ, François Legault avait bien pris soin de laisser la porte ouverte. Une fois le Québec remis sur ses rails, il serait plus facile de prendre une décision éclairée sur son avenir, expliquait-il. Ce souverainiste autrefois si pressé a finalement décidé que cet avenir serait canadien, quoi qu’il advienne.
Il y a dix ans, il aurait sans doute tourné en ridicule les revendications constitutionnelles de la CAQ , mais il faut reconnaître qu’elles constitueraient un progrès par rapport à l’immobilisme du gouvernement Couillard.
Encore faut-il que le reste du Canada sente un minimum de pression.
Pour Robert Bourassa, la menace souverainiste constituait un argument qu’il pouvait faire valoir à ses interlocuteurs des autres provinces. Il ne souhaitait surtout pas l’effondrement du PQ. Le problème de M. Legault est que cet effondrement est précisément la condition essentielle à une victoire de la CAQ.
Ce ne sont ni les « valeurs libérales » ni son image économique qui ont fait la bonne fortune du PLQ depuis quinze ans
Une fois élu, il pourrait bien contracter à son tour le syndrome des « vraies affaires ». Faut-il rappeler que, avant de tomber dans la neurasthénie constitutionnelle, Philippe Couillard projetait de signer une nouvelle entente à l’occasion du 150e anniversaire de la fédération ?
Le premier ministre doit être aujourd’hui le premier à espérer que le PQ reprendra un peu de tonus durant la campagne. Ce ne sont ni les « valeurs libérales » ni son image économique qui ont fait la bonne fortune du PLQ depuis quinze ans, mais plutôt l’épouvantail de l’indépendance, qu’il pouvait agiter à chaque élection.
On peut compter sur Jean-François Lisée pour se démener comme un diable dans l’eau bénite au cours la campagne. Au fil des ans, le chef péquiste a abondamment fait la preuve de son imagination. Certaines de ses trouvailles étaient plus discutables, mais vouloir soulager les parents du « fardeau des lunchs » est loin d’être bête.
Le danger qui guette le PQ est que la lutte entre la CAQ et le PLQ accapare toute l’attention. À en juger par les couleurs psychédéliques de son autobus, les stratèges péquistes ont bien compris la nécessité de surprendre. Il vaut encore mieux être moqué qu’ignoré. Qu’il s’agisse d’éducation, de santé ou encore d’environnement, le PQ a élaboré au cours de la dernière année un programme qui a eu un écho inversement proportionnel à sa qualité.
Quand on est plongé dans la tourmente, il est difficile de ne pas être obnubilé par le court terme. Avec 18 % des intentions de vote, selon le dernier sondage Léger-Le Journal de
Montréal, le PQ a cependant bien peu de chances de reprendre le pouvoir. À moins d’un renversement aussi rapide que miraculeux, il lui faudra en prendre acte et concentrer ses ressources sur ce qui peut être sauvé. Malgré ses défauts, le Québec a encore besoin du PQ.
Les urgences risquent de se multiplier. On voit mal comment le PQ pourrait se laisser évincer sans combattre de ses châteaux forts montréalais, que ce soit par Québec solidaire ou la CAQ. M. Lisée lui-même devra avoir à l’oeil Rosemont. Il faudra également tout faire pour sauver Véronique Hivon, menacée dans Joliette, qui apparaît indispensable à toute reconstruction. Demain, c’est déjà maintenant.