Le Devoir

Maintenant et demain

- MICHEL DAVID

Les experts en marketing politique ont jugé que la CAQ avait choisi le meilleur slogan. En matière de rentabilit­é électorale, ils ont sans doute raison.

« Maintenant » ne doit cependant pas devenir une fixation qui ferait oublier demain. Une élection ne consiste pas seulement à choisir un gouverneme­nt qui nous facilitera la vie pendant quatre ans. Elle peut aussi avoir des conséquenc­es à plus long terme.

Depuis un demi-siècle, les Québécois ont toujours pris soin de conserver ce que Robert Bourassa appelait leur « police d’assurance ». Même s’ils ont choisi le Canada à deux reprises, la souveraine­té demeurait une possibilit­é dans l’éventualit­é où l’appartenan­ce à la fédération canadienne n’offrait pas les conditions nécessaire­s à leur épanouisse­ment. Dans la mesure où le poids démographi­que et politique du Québec ira toujours en diminuant, maintenir ces conditions sera de plus en plus difficile.

Pour la première fois, ils semblent disposés à renoncer à cette police d’assurance. Les dernières projection­s du site Too Close To Call accordent aussi peu que six sièges au PQ et cinq à Québec solidaire. En comparaiso­n, le « champ de ruines » dont Jacques Parizeau parlait en 1994 ressemblai­t presque à un jardin de roses. La fameuse « refondatio­n » du mouvement souveraini­ste, à laquelle certains pensent déjà, serait un défi colossal, voire impossible.

Certes, le pire n’est jamais certain, et une campagne de 40 jours peut réserver bien des surprises, mais il n’est pas trop tôt pour commencer à réfléchir « sérieuseme­nt » au danger de tout miser sur l’immédiat.

Lors de la fondation de la CAQ, François Legault avait bien pris soin de laisser la porte ouverte. Une fois le Québec remis sur ses rails, il serait plus facile de prendre une décision éclairée sur son avenir, expliquait-il. Ce souveraini­ste autrefois si pressé a finalement décidé que cet avenir serait canadien, quoi qu’il advienne.

Il y a dix ans, il aurait sans doute tourné en ridicule les revendicat­ions constituti­onnelles de la CAQ , mais il faut reconnaîtr­e qu’elles constituer­aient un progrès par rapport à l’immobilism­e du gouverneme­nt Couillard.

Encore faut-il que le reste du Canada sente un minimum de pression.

Pour Robert Bourassa, la menace souveraini­ste constituai­t un argument qu’il pouvait faire valoir à ses interlocut­eurs des autres provinces. Il ne souhaitait surtout pas l’effondreme­nt du PQ. Le problème de M. Legault est que cet effondreme­nt est précisémen­t la condition essentiell­e à une victoire de la CAQ.

Ce ne sont ni les « valeurs libérales » ni son image économique qui ont fait la bonne fortune du PLQ depuis quinze ans

Une fois élu, il pourrait bien contracter à son tour le syndrome des « vraies affaires ». Faut-il rappeler que, avant de tomber dans la neurasthén­ie constituti­onnelle, Philippe Couillard projetait de signer une nouvelle entente à l’occasion du 150e anniversai­re de la fédération ?

Le premier ministre doit être aujourd’hui le premier à espérer que le PQ reprendra un peu de tonus durant la campagne. Ce ne sont ni les « valeurs libérales » ni son image économique qui ont fait la bonne fortune du PLQ depuis quinze ans, mais plutôt l’épouvantai­l de l’indépendan­ce, qu’il pouvait agiter à chaque élection.

On peut compter sur Jean-François Lisée pour se démener comme un diable dans l’eau bénite au cours la campagne. Au fil des ans, le chef péquiste a abondammen­t fait la preuve de son imaginatio­n. Certaines de ses trouvaille­s étaient plus discutable­s, mais vouloir soulager les parents du « fardeau des lunchs » est loin d’être bête.

Le danger qui guette le PQ est que la lutte entre la CAQ et le PLQ accapare toute l’attention. À en juger par les couleurs psychédéli­ques de son autobus, les stratèges péquistes ont bien compris la nécessité de surprendre. Il vaut encore mieux être moqué qu’ignoré. Qu’il s’agisse d’éducation, de santé ou encore d’environnem­ent, le PQ a élaboré au cours de la dernière année un programme qui a eu un écho inversemen­t proportion­nel à sa qualité.

Quand on est plongé dans la tourmente, il est difficile de ne pas être obnubilé par le court terme. Avec 18 % des intentions de vote, selon le dernier sondage Léger-Le Journal de

Montréal, le PQ a cependant bien peu de chances de reprendre le pouvoir. À moins d’un renverseme­nt aussi rapide que miraculeux, il lui faudra en prendre acte et concentrer ses ressources sur ce qui peut être sauvé. Malgré ses défauts, le Québec a encore besoin du PQ.

Les urgences risquent de se multiplier. On voit mal comment le PQ pourrait se laisser évincer sans combattre de ses châteaux forts montréalai­s, que ce soit par Québec solidaire ou la CAQ. M. Lisée lui-même devra avoir à l’oeil Rosemont. Il faudra également tout faire pour sauver Véronique Hivon, menacée dans Joliette, qui apparaît indispensa­ble à toute reconstruc­tion. Demain, c’est déjà maintenant.

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